Après les effets vocaux dans le précédent hors-série, nous nous attaquons à certains presets et sons dérivés. Les presets apparaissent sur les synthétiseurs avec le développement de la mémoire à la fin des années 1970. Sur les premières machines, il était en effet tout simplement impossible de sauvegarder ses sons autrement qu’en les notant sur une feuille de papier. Un preset enregistre les différents paramètres, il constitue une sorte de photo des commandes (qui doivent donc être numériques) qu’il est possible de rappeler à loisir. Avec l’apparition d’instruments comme le Prophet 5 de Sequential Circuits en 1978, les compagnies livrent avec leurs machines des presets déjà programmés pour montrer les capacités des instruments. Ils vont être utilisés par énormément de musiciens. Avec le recul, certains presets deviennent des véritables marqueurs de leur époque. Ils évoluent avec les modes, tombent en désuétude avant d’être réutilisés pour ce qu’ils évoquent. Ils sont ainsi omniprésents dans la musique que nous écoutons depuis une quarantaine d’années. S’ils peuvent venir de machines cultes (méritant un article ici même), ce n’est pas toujours le cas. Parfois, il n’y a tout simplement pas grand-chose à dire de plus qu’évoquer le preset. Au-delà des presets, avec l’apparition des sampleurs (dont le Fairlight CMI évoqué fut l’un des pionniers), ce sont également des sons qui vont naviguer d’un disque à l’autre et retranscrire la psyché d’une époque… Le récent versus entre Teddy Riley et Babyface rappelle à quel point certains de ces sons (lately bass et orchestra hit) sont intimement liés à des chansons que nous adorons. Voici une petite sélection hautement subjective de presets et de sons célèbres.
Hoover
Le hoover est l’un des sons classiques ultimes de la musique rave (breakbeat, hardcore, jungle) du début des années 1990. Il semblerait que le premier à avoir utilisé le hoover fut l’Américain Joey Beltram sur Mentasm, sa collaboration avec Mundo Muzique sous le nom de Second Phase en 1991. Dans les autres exemples pionniers, il est coutume de citer Dominator des Néerlandais de Human Ressource, la même année. À partir de là, le son fut samplé par tout le monde et utilisé partout, notamment en Angleterre avec The Prodigy (Charly, 1991), Altern-8 (evapor-8, 1992), Doc Scott (Here come the Drumz, 1992), Rufige Kru (alias Goldie) (Terminator, 1992), ou le Belge Lhasa (Orbital Distance, 1991)… Après l’inévitable lassitude provoquée par sa surabondance, le hoover donnera régulièrement de ses nouvelles, que ce soit dans la dance music ou dans la pop plus mainstream. En 2009, les Bloody Beetroots le mettent ainsi au centre de leur collaboration avec Steve Aoki (Warp 1.9). Nous pouvons aussi l’entendre chez Lady Gaga (Bad Romance, 2009) ou Rihanna (Birthday Cake, 2012). Mais pourquoi appelle-t-on cela un hoover ? Il s’agit simplement de la marque d’aspirateur la plus connue en Angleterre et le son de la machine y fait clairement penser. Évoquons aussi la source originale : un preset de l’Alpha Juno (What The… sur la seconde banque), utilisant la fonction PWM (Pulse Width Modulation), créé par Eric Persing. L’Alpha Juno est un des derniers synthétiseurs polyphoniques analogiques produit par Roland avec le JX-8P au milieu des années 1980. Le Yamaha DX7 (sur lequel nous reviendrons) met la concurrence en pièces et les compagnies réagissent comme elles peuvent, en développant de nouvelles technologies (la distorsion de phase de Casio, les synthétiseurs hybrides numériques/analogiques comme la série DW de Korg etc.). De son côté, Roland maintient l’analogique (avant de réagir de la plus belle des manières) mais avec des interfaces plus dépouillées s’inspirant de Yamaha. Résultat des courses, le petit frère de la série historique Juno n’est pas un énorme succès commercial ni technique, mais devient un classique grâce à ce preset programmé par Eric Persing… Ce dernier, probablement un des sound designers les plus influents des trente dernières années, fait ses armes sur ce synthétiseur avant de rejoindre le projet Roland D-50 (sur lequel il serait judicieux de revenir), pour lequel il réalise les sons les plus mythiques comme Fantasia, Digital Native Dance ou Pizzagogo. De nos jours, Eric Persing continue d’être extrêmement influent car il édite, avec sa société Spectrasonics, Omnisphere, probablement l’un des instruments virtuels les plus utilisés dans la trap actuellement.
808
Nous avions parlé de la TR-808 d’une manière assez complète et évoqué rapidement cette nouvelle vie de la vénérable boîte à rythmes. Une 808, dans le langage actuel, ne fait pas référence à la boîte à rythmes de Roland mais aux lignes de basses très sub – comprendre les fréquences sonores les plus basses du spectre audio – utilisées dans la trap. Il s’agit souvent de sinusoïdales avec de la saturation pour leur donner des harmoniques dans les médiums et d’une manière plus concrète, pour pouvoir les entendre sur des téléphones portables. Le kick de la TR-808 est probablement à l’origine de ce phénomène : pitché pour devenir mélodique, il fait une 808 très convenable (le kick de la 808 est une sinusoïdale avec un click pour lui donner de l’attaque). L’habitude d’utiliser le kick de la TR-808 comme une basse n’a rien de récent : c’était déjà pratiqué à l’époque de la jungle. En tout cas, les 808 sont omniprésentes dans le rap actuel, à tel point que c’est presque devenu un synonyme de basse sub. Parmi les techniques classiques de programmation : utiliser le glide et le saut d’octave pour donner un côté bondissant et vivant à celle-ci. Il suffit d’allumer la radio pour en entendre : Blinding Lights de The Weeknd, Highest in the Room de Travis Scott, The Box de Roddy Ricch. Elles sont généralement issues de kits de samples que les producteurs achètent (ou s’échangent plus ou moins légalement) sur des sites spécialisés comme Splice ou Cymatics. Beaucoup de producteurs connus font eux-mêmes leur propres kits, qu’ils vendent. Un kit contient généralement des drums (kick, snare, hi hats, open hats, percs), des 808 en one shot (c’est-à-dire une seule note) et parfois des patterns (motifs) midi de mélodies ou de hi-hats. Les 808 sont ensuite importées dans les DAW/STAN (Digital Audio Workstation/STation Audio Numérique), accordées puis jouées dans les séquenceurs.
Lately Bass
La Lately Bass ou Solid Bass est un des presets emblématiques de la dance music de la fin des années 1980 et du début des années 1990. C’est simple : house, eurodance, R&B, tout le monde a utilisé ce son. Normal, avec son attaque franche et beaucoup de grave, il est parfait pour le dancefloor. Nous le trouvons à l’origine sur les synthétiseurs bon marché de chez Yamaha, en particulier le DX100 et le TX81Z. Bien que FM (Frequency Modulation) tous les deux, ces instruments ont la particularité de ne pas avoir la même architecture que le mythique DX7 avec leur quatre opérateurs. Pour les amateurs de détails, ajoutons que le TX81Z permet d’utiliser d’autres formes d’ondes que l’habituelle sinusoïdale de la FM (1). Teddy Riley et Babyface (des producteurs mythiques de new jack swing) en avaient tous les deux dans leur studios respectifs, dédiés à cette basse. Quelques exemples de son utilisation : du haut des charts avec Janet Jackson (What Have You Done for Me Lately), Madonna (Express Yourself), Ace of Base (All that She Wants), Deee-Lite (ESP), à l’électronique avec Inner City (Good Life, Big Fun), Orbital (Chime, Halcyon), ou encore Whigfield (Saturday Night) côté eurodance ou hi-five (She’s Playing Hard To Get) pour le R&B. Au-delà des presets Lately/Solid Bass, les synthés FM de Yamaha (et en particulier le DX100) restent des énormes classiques de la production techno de la fin des années 1980/ début des années 1990. À l’heure du révisionnisme analogique où tout le monde ne jure plus que par les Juno (6/60/106), il n’est pas inutile de rappeler que les producteurs n’étaient pas intégristes et utilisaient souvent ce qu’ils avaient sous la main.
G Funk Whistle
Avez-vous remarqué ce sifflement omniprésent dans les productions hip-hop G Funk des années 1990 ? Directement inspiré du p-funk de Parliament et surtout des Ohio Players, nous le retrouvons dans les productions seventies de ces groupes, notamment le mythique Funky Worm de 1973. À l’origine joué sur un synthétiseur ARP (Odyssey probablement), il est possible de faire ce sifflement avec presque n’importe quel synthétiseur monophonique pourvu qu’il ait une forme d’onde en scie et un important glide/legato pour lier les notes entre elles. Nous retrouvons par exemple le G Funk Whistle chez 2Pac (Me Against the World, It Ain’t Easy, Lord Knows), Warren G (This DJ, Recognize), N.W.A. (Alwayz into Somethin’), Snoop Dogg (Gin & Juice, Murder Was the Case), Scarface (Smile), Ice Cube (Ghetto Bird), DJ Quik (Dollaz + Sens) et bien sûr Dr. Dre (Nuthin but a G Thang, Let me Ride), parmi tant d’autres.
Amen Break
L’Amen Break est peut-être le sample le plus utilisé de l’histoire de la musique pop. Le site WhoSampled comptabilise en effet plus de 4000 occurrences pour ce court breakbeat joué par le batteur Gregory Coleman. Initialement publié en 1969 par les Winstons en face B de leur single Color Him Father, ce court passage de batterie sans autre instrument devient incontournable dans le hip-hop puis la dance music britannique (jungle/drum & bass en tête) dans les années 1980-1990. Samplé et resamplé, une des sources initiales du breakbeat est certainement le vinyle Ultimate Breaks & Beats, publié en 1986 et sélectionné par Louis Flores. Présent sur le disque dans une vitesse ralentie (33 tours par minute au lieu des 45 tours d’origine), il se retrouve dans énormément de classiques des années 1980 comme Straight Outta Compton de N.W.A. en 1988, Casualties of War d’Eric B. and Rakim (1992) ou I Desire de Salt -N-Pepa (1986), son probable premier usage. Au début des années 1990, dans le sillon des raves, les junglists l’utilisent en accéléré (tempo d’origine : 137 bpm) et en font une des fondations du genre. Nous le retrouvons ainsi dans We Are IE (1991) de Lenny Dee, Piano Tune (1995) de Peshay, Super Sharp Shooter du Ganja Kru/DJ Zinc (1996), Poison (1995) de The Prodigy. S’il est peut-être moins présent de nos jours, ce son a marqué l’inconscient collectif et il refait parfois surface (par exemple dans ce morceau de DJ Rashad en 2013). Mentionnons quelques autres breakbeats : It’s a New Day de Skull Snaps, Apache de The Incredible Bongo Band et les centaines tirés de disques de James Brown !
Orchestra hits
Yes (Owner of a Lonely Heart), Janet Jackson (When I Think of You , Nasty), Michael Jackson (Can’t Let Her Get Away, Jam), Afrika Bambaataa (Planet Rock), Freeez (IOU), New Order (Bizarre Love Triangle), Duran Duran (A View To Kill), En Vogue (Hold On), Art of Noise (Close to the Edit), Kate Bush (The Dreaming) et tant d’autres. Dans les années 1980 et au début des années 1990, les Orchestra Hits sont absolument partout (synth-pop, electro-funk, new jack swing…) Le plus connu d’entre eux est certainement le preset ORCH5 du Fairlight CMI, un des premiers sampleurs disponibles commercialement, à partir de la fin des années 1970. Machine particulièrement coûteuse, elle trouve néanmoins les faveurs de l’élite pop britannique, des gens comme Trevor Horn ou Peter Gabriel. Avec la seconde série, l’instrument se démocratise légèrement avant d’être dépassé par ses concurrents comme E-MU puis les Japonais, Akai en tête. Les échantillons, d’une taille très modeste par rapport aux standards actuels, sont stockés sur des disquettes. Parmi les sons proposés, une série d’orchestral hits dont le plus connu d’entre eux, l’ORCH5. Sample d’un enregistrement de L’Oiseau de feu de Igor Stravinsky, il devient un parangon de la musique urbaine de la seconde moitié des années 1980 après avoir été utilisé sur Planet Rock. Nous retrouvons des orchestra hits chez Bobby Brown (Don’t Be Cruel, On Our Own), Keith Sweat (I Want Her), Johnny Kemp (Just Got Paid), etc. Ils lancent surtout la pratique devenue depuis classique du stab, c’est-à-dire un accord (en général) samplé, à l’origine joué très rapidement, en staccato avec des instruments comme des violons ou des cuivres, des extraits sonores souvent issus du classique ou du funk. Nous retrouverons ainsi également cette méthode dans les hymnes rave des années 1990 tels qu’Anasthasia de T99.
(1) Le principe de la FM est de faire moduler des fréquences sinusoïdales par d’autres fréquences sinusoïdales. Le nombre d’opérateurs détermine le nombre de sinusoïdales pouvant moduler. Ensuite les opérateurs peuvent interagir entre eux de différentes manières, selon des schémas préconçus par la compagnie. En analogique, les sinusoïdales ont relativement peu d’intérêt et sont donc souvent absentes des synthétiseurs. Il n’y en a pas sur le Model D de Moog par exemple : c’est un signal pur qui n’a pas d’intérêt à être sculpté, à l’inverse d’une onde carrée ou triangle.