Il pense à lui chaque jour. Cette tristesse de perdre un ami. Un ami et un fou de l’éclairage musical, un mercenaire usant ses coudes, jour comme nuit, sur du zinc plus ou moins fameux. Saloperie de bouteille, d’ivresse. Saloperie d’alcoolisme. Richard Swift n’a jamais réellement dit adieu à Damien Jurado car Damien Jurado pense à lui chaque jour. Mais ce coma éthylique éternellement imposé n’offre que vide et absence. Il y avait déjà dans la voix de Jurado, ces petites miettes de fleur bleue créant les grandes interprétations et les vastes tristesses. On retrouve cela chez Billie Holiday ou Jason Molina. C’est sans doute commun, le chagrin… mais arriver à le sublimer, c’est autre chose. Jurado revient avec une nouvelle chanson trempée de pluie, de langueur, de reflets mauves à l’horizon et mille autres illusions encore. Helena possède la routine d’un vieux blues, cela s’enroule dans l’oreille, cela affiche sa présence en si peu de notes. Un peu comme lorsqu’il nous faut peu de temps pour reconnaitre une amitié d’une vie, un changement solaire dans notre existence. Les changements de style, de voix, de format parcourent le dernier livre de Leslie Jamison. Récits de la soif. Fiction, essai, biographie, tout cela circule dans son ouvrage, en toute liberté. Il y surtout, chez Jamison, un art du portrait remarquable. L’alcool, la création, la poésie et autres emmerdes… Les thèmes vacillent entre les vies de Marguerite Duras, Stephen King ou encore Charles Jackson. J’ai commencé à lire ce livre après une semaine d’apéros, retrouvant des ami(e)s. L’ivresse, celle qui fait agrandir les jours quelques heures pour les assombrir définitivement, est une traitresse. C’est un peu le résumé, en refermant le bouquin. Leslie Jamison va loin dans le dépeçage de sa propre psyché. Mais cette lecture fut pour moi, une merveilleuse douche froide. Et puis les souvenir de boissons, j’en ai (trop). Je me souviens, il y a plus de dix ans, avoir regardé une rediffusion de L’Hotel de la Plage de Michel Lang. Je buvais du chardonnay tiède, en écrivant de calamiteux mails d’amour. Je suivais donc les aventures estivales de Guy Marchand, Daniel Ceccaldi et l’envoûtante Martine Sarcey. Pas un chef d’œuvre ni un navet, ce film est toujours pour moi une sorte de madeleine. Le lendemain, pour calmer ma gueule de bois et oublier mes désastreux poèmes lyriques envoyés en pleine montée d’alcool, je me baladais du côté de Locquirec, lieu du tournage du film. C’était un temps de crachin et de retrouvailles avec un timide soleil. La plage était vide, rien d’autres que le souvenir des scènes tournées. J’avais envie de serrer dans mes bras le fantôme de Martine Sarcey et puis je me suis raisonné en achetant de l’eau minérale.
Helena, premier single issu de The Monster Who Hated Pennsylvania par Damien Jurado, à venir le 14 mai sur Maraqopa Records.
Récits de la soif de Leslie Jamison (Pauvert, 544 pages)
L’Hotel de la Plage de Michel Lang (1978, DVD BR chez Gaumont)