Figure centrale de la scène expérimentale, dans son versant bruitiste/no-wave, Lionel Fernandez peut aisément être considéré comme l’idéal-type du chercheur et déconstructeur de formes. Avec Sister Iodine tout d’abord, trio emblématique d’une scène sous influence Arto Lindsay/DNA/Sonic Youth, il a pu porter haut le flambeau d’une noise maximaliste dans son appréhension du matériau sonore. Ou encore par exemple avec Discom, Minitel ou Antilles, collectifs explorant des territoires plus électroniques, qui ont su incarner une certaine radicalité caractéristique des musiques aventureuses de la période 2000/2010. Peu étonnant dès lors de le retrouver en cette rentrée avec deux projets à l’insularité sans concession. Outer Blanc avec Jerôme Noetinger d’une part, sorti début septembre sur Sonoris, qui entend confronter guitare (passée au filtre d’une multitude d’effets) et magnéto à bande. Contumace ensuite, avec un disque (Matt) prévu début novembre sur Tanzprocesz, qui s’attaque quant à lui aux esthétiques post-industrielles et minimalistes.
Né à l’occasion d’une soirée du label Premier Sang aux Instants Chavirés dans les années 2010, le duo Fernandez/Noetinger entend ré-explorer le geste électro-acoustique, appréhendé dans sa complémentarité avec la pratique de l’improvisation. Jerôme Noetinger, activiste de longue date des arts sonores underground – directeur de la structure de diffusion Metamkine, membre du comité de rédaction de Revue & Corrigée, programmateur, compositeur et conférencier – mobilise ici un usage du Revox B77 dialectiquement articulé au jeu du guitare de Lionel Fernandez. Manipulation du son sur support enregistré d’un côté, détournement de l’instrumentarium rock de l’autre, le projet fonctionne selon cette polarité. Mais une polarité qui ne consiste pas à jouer sur une opposition de pratiques par trop schématique, pour au contraire viser une unité esthétique remarquable par sa dimension évocatrice. L’ambiance du disque est sombre et narcotique, assumant l’héritage d’un free noise bien décidé à détourner certains de ses caractéristiques consacrées : feedbacks, boucles, dissonance et traitement lo-fi du son, etc. Autant de modalités d’un genre qu’il s’agit de perturber.
Avec Contumace, nouveau projet de qu’on a pu entendre live à l’occasion de la dernière édition du festival Ideal Trouble, la tonalité est (évidemment) tout aussi radicale et bruitiste. Mais avec la volonté d’en explorer ici le versant post-industriel et minimal/électronique. Travail autour du signal dont il s’agit de contourner le routage traditionnel, ce disque frappe par la cohérence de son propos et son caractère sans concession. Le caractère contraint du dispositif, son réductionnisme, constituent la principale caractéristique opératoire du disque : minimal au sens d’une économie de moyen qui s’impose comme levier créatif, c’est du côté de la double filiation Throbbing Gristle/Esplendor Geometrico qu’il faut ici se tourner. Mais ceci avec une ambition esthétique bien éloignée de la citation trop appuyée, ou du revival rétro-futuriste un peu trop rencontré ces derniers temps.
Deux disques donc, qui confirment toute l’importance que peut occuper Lionel Fernandez au sein de cette constellation si singulière de l’avant-garde noise.