J’attends, le soir, ton retour. Et pour conjurer la nuit qui tombe, j’écoute Morning Morgantown de Joni Mitchell. Chaque note ressemble à une tombée de glycines, à un dernier rayon de lumière sur le chemin de terre. Je vibre à imaginer tes pas prochains sur cette petite route. Cette attente de toi me fait écouter des tonnes de chansons, des tristes, des belles, quelques ordinaires et celles que je n’écoute pas vraiment, trop embarqué dans mes rêves. Chaque note porte l’incertitude de ton regard, ce brun chassant le vert. Les mélodies sont marquées par le noir de tes cheveux, boucles de chardon bleu. Cette semaine, le hasard m’a fait replonger dans Cardinal et les albums d’Eric Matthews. L’exubérance de cette pop est une force. Ces chansons semblent dotées d’une joie gorgée de splendeurs éphémères. C’est une grande pop calfeutrée, secrète et éclatante pourtant. Cela implose et fait des étincelles comme une bluette des Carpenters. Oui, décidément, tout dans Cardinal colle au printemps, tout dans cette musique évoque le renouveau. Alors rien ne s’éteint, tout revient toujours. E.R. Jurken, une trouvaille de chez Drag City, en est la preuve. Son album, I Stand Corrected, possède le même charme que les enluminures d’Eric Matthews. Une merveille baroque, solaire. Ce disque fera votre printemps et votre été. Et qui sait ? Il lancera, peut-être, la saison des amours. Avant, j’écrivais des horoscopes sur des sous-bocks, tard dans les bars, à des inconnu.e.s. Et toi, mon petit crabe à la peau blanche, signe caché et lunaire, je t’ai proposé des vies imaginaires merveilleuses sur ces sous-bocks. L’amour est une force divinatoire et nous fait gravir maladroitement les montagnes russes. Il n’existe aucun parfait équilibre, il n’existe qu’une certaine grâce. Dès les premières pages du livre de Frédéric Boyer, Le Lièvre, j’ai ressenti le fer rouge de cette lecture. L’auteur essaie de retrouver le chemin de traverse de l’enfance. Ambiguïté du passé, ombrages et lumière crue, le récit se fait opaque, étrange. Il y a des passages bouleversants servis par une écriture magnifique. Boyer, touché par deux deuils inouïs, celui de sa compagne Anne Dufourmantelle et de son éditeur Paul Otchakovsky-Laurens, arpente sa propre mémoire avec un feu qui ne s’éteindrait pas, même noyé dans l’eau. L’obsession des amants de Happy Together a bien traversé les océans. Hong-Kong/Buenos Aires, les chutes d’Iguazu qui constituent un véritable rideau de larmes pour les deux amants, tous ces décors sont filmés avec une mélancolie anxieuse. Wong Kar-wai magnifie les visages, les corps en les diluant dans un cadrage serré et haletant. Vers la terre de feu, un amour se consume. Pour renaitre ailleurs, toujours.
L’éternel retour – E.R. Jurken, Frédéric Boyer, Wong Kar-wai
Collage sauvage et de mauvaise foi de l’actualité culturelle de la semaine