On peut, parfois, passer à côté d’un groupe à cause des choix graphiques liés à ses pochettes. C’est par exemple le cas de Morphine. Malgré le travail de réédition de Light In The Attic Records et de Rykodisc, on peut toujours rester de marbre en regardant la pochette de Cure For Pain (1993) et de The Night (2000). On repose donc le disque dans le bac, ou on écrit le nom d’un autre groupe dans la barre de recherche… Et on peut passer à côté dudit artiste. C’est à ce moment précis qu’intervient Laurent Poupinais aka Le Poup. Avec ses dessins, il rebat les cartes et vous permet de vous lancer à l’assaut de l’œuvre de feu Mark Sandman. Ses portraits monochromes offrent une relecture de son panthéon musical. Guidé par Robert Crumb et Frantz Duchazeau, Laurent Poupinais part du blues pour s’aventurer vers des paysages plus rock. Marqué par Tardi et les travaux de Chabouté, Mezzo et Muñoz, Le Poup confie son univers à travers ses portraits. Et vous fait devenir fan de Morphine sans que vous vous en rendiez compte.
Depuis quand as-tu commencé à dessiner des portraits de musiciens ? C’est lié aux commandes de Culturesco ?
Poup : Non, ça remonte à bien plus loin. Déjà très jeune, au lycée, j’aimais bien croquer des musiciens. C’était l’époque où on écrivait au marqueur les noms des groupes fétiches sur les sacs de surplus US ! Parfois je dessinais aussi des rockers pour les copains. Et puis dans les années 80, de plus en plus addict à la musique, je me suis lancé dans l’aventure des fanzines, aventure qui a duré presque 10 ans. Donc là je me suis mis à dessiner du musicien comme un fou. Je réalisais aussi des affiches, des flyers pour des groupes locaux. Après la période zinesque, j’ai continué. Batteur dans plusieurs groupes, j’ai pu côtoyer pas mal de musiciens, donc les opportunités ne manquaient pas, comme la réalisation de pochettes de disque et toujours des affiches, des flyers et même des fonds de scène. Et ça continue encore aujourd’hui ! Avec Culturesco entre autres, blog où j’écris également et où je dessine pour les articles de Bruno Polaroïd, un pote grâce à qui j’ai pu rejoindre leur équipe. Je fournis aussi des crobards pour deux fanzines, Rock Hardi à Clermont-Ferrand et Cafzic à Mont-de-Marsan. Sans oublier l’Entre Potes, bar concert à Chartres, mon coin, pour qui je fais des affiches. Pas le temps de s’ennuyer !
Il y a évidemment ce portrait de Mark Sandman que tu as réalisé il y a quelques semaines. Comment travailles-tu ? Quelles sont tes étapes de travail ?
Poup : Oui, Mark Sandman. Fantastique musicien disparu hélas trop tôt. J’ai une très grande admiration pour le bonhomme. Alors quand l’ami Bruno, de Culturesco, m’a proposé de dessiner pour un article sur Morphine, je ne me suis pas vraiment fait prier !
Les étapes de travail ? En général je commence par réunir de la documentation. Google Images est mon meilleur ami ! Là dessus, je fais quelques croquis à ma sauce. Le but n’est pas de reproduire exactement telle ou telle photo, ce qui n’aurait pas grand intérêt. La doc me sert à trouver une idée, en fonction de la pose du personnage par exemple. Après je brode mon truc. Une fois qu’un croquis semble tenir la route je passe au crayonné définitif puis à l’encrage. Dans le cas de Mark Sandman je voulais quelque chose d’assez simple et sobre, à l’image du personnage, plutôt discret, et de sa musique qui allait toujours à l’essentiel, sans jamais en faire trop. D’où ce grand fond noir qui installe aussi une ambiance nocturne qui colle bien, je trouve, au style jazzy de Morphine. Et puis quand je bosse, toujours de la musique en fond, indispensable !
J’ai cru comprendre que tu es fan de Certain General. Quelle est ton histoire avec ce groupe ?
Poup : En fait je suis surtout fan de leur album November’s Heat (1984). Un des albums clés, je trouve, de cette époque du début des années 80. Plein de groupes, après le Punk, se sont mis à renouveler le son du Rock, avec des musiques et des textes qui mélangeaient un côté cérébral, froid et en même temps un côté brut de décoffrage, énergique, voire violent. Et je trouvais ça intéressant. Beaucoup de groupes avaient vraiment un univers bien à eux, très cohérent. Et voilà, Certain General, pour moi, faisait partie de ça. En plus ils avaient une batteuse, ce qui n’était pas courant en ces temps de Rock très macho ! D’ailleurs, je ne savais pas que Phil Gammage continuait en solo dans un registre plus « roots ». Je l’ai découvert avec l’article de Bruno sur Culturesco.
Toujours, pour Culturesco, tu as réalisé un portrait des frères Reid. Peux-tu m’expliquer l’idée derrière ce portrait ? Pourquoi l’ombre de leurs jambes fait-elle un X ?
Poup : Pour une fois ce dessin je l’ai démarré sans documentation. Comme ça, direct et c’est venu pratiquement tout de suite. Je n’avais pas d’idée préconçue. J’avais le souvenir d’une couverture des Inrockuptibles où on les voyait vu de dessus avec leur attitude de jeune branleur bien Rock’n Roll. Le genre « On fait du boucan et on vous emmerde » ! J’adorais ça chez eux. Donc je suis parti sur une vue plongeante. Les ombres se sont posées naturellement, surtout dans le souci que ça colle bien dans la mise en page du dessin. Donc pas de signification particulière. On pourrait peut-être dire que les ombres entremêlées évoquent le côté inséparables des deux frangins qui, musicalement, ne sont qu’un seul et même individu. Mais franchement au départ je n’avais pas du tout ça en tête ! Sinon, le « Jesus » écrit dans la main vient d’une photo d’eux aperçue sur le net. Bon, il y avait un peu de doc quand même ! J’avoue ! Je les ai vus à l’Élysée Montmartre cette année. Super concert.
Tes racines musicales sont plutôt à aller chercher du côté du blues. Je me trompe ?
Poup : Ah le Blues ! Oui je suis un grand fan. En fait, vers l’âge de 15 ou 16 ans j’ai plutôt commencé avec le Blues. Le Rock j’écoutais les grands cadors, le Floyd, les Beatles, les Stones (le Blues n’est pas loin!), ou encore Neil Young. Pour ce qui est du Blues le déclencheur a été la pochette d’un album de Hound Dog Taylor. Je commençais à traîner pas mal chez le disquaire du coin (Disques Shop à Dieppe, ma ville natale) et, un jour, je tombe sur la pochette de Natural Boogie, album donc de ce fameux Hound Dog Taylor. La dégaine du bonhomme sur la photo m’a tellement plu que je crois bien avoir acheté la chose sans même l’écouter. Et à l’écoute, eh bien deuxième claque ! Une guitare cradingue, jouée au bottleneck, un batteur au jeu assez dingue et une deuxième guitare sursaturée en guise de basse. Une sorte de Heavy Blues complètement addictif. En tous cas pour moi ! À partir de là j’ai commencé à creuser du côté de cette musique et j’ai découvert Muddy Waters, John Lee Hooker et bien d’autres avec une prédilection pour un Blues bien rugueux, bien voyou. B.B. King, par exemple, je trouvais ça trop clean, trop léché. J’apprécie maintenant mais j’ai mis du temps.
Te rappelles-tu du premier portrait de musicien que tu as réalisé ?
Poup : Oh là ! Franchement je ne me rappelle pas ! Comme je le disais tout à l’heure ça doit remonter aux années lycée. Je sais que j’étais aussi un grand fan de Status Quo (Je le suis toujours mais attention le Quo de cette époque là, parce qu’après…), ce fut d’ailleurs mon premier « vrai grand concert », à Rouen. Donc c’est peut-être bien un des premiers groupes que j’ai croqué.
Et il y a ce portrait de Shane MacGowan… Tu es fan des Pogues ?
Poup : Les Pogues, oui, j’adore. J’aime bien la musique traditionnelle irlandaise. Et quand elle est mélangée à une énergie Punk c’est une vrai tuerie. Et puis les Pogues ont fait partie des ces groupes dont le leader était une personnalité hors normes. J’ai fait ce petit dessin tout de suite après avoir appris sa mort. Shane MacGowan, dans son jusqu’au boutisme, sa façon de tout donner et de se mettre en danger, était un type fascinant. Avec lui, l’expression « sortir ses tripes » prenait tout son sens.