Les Clopes, Troa (Choléra Cosmique)

Des Inconnus à Noir Boy George, il y a un monde. On peut dire que Les Clopes navigue entre ces deux pôles extrêmes dans un brouillard épais à couper au couteau. L’histoire de la musique regorge de ces projets parallèles qui ont tout à coup pris le dessus sur les noms officiels. Comment un artiste ou un groupe dont les ambitions esthétiques sont pensées, pratiquées voit un projet d’un soir, une idée brouillonnée sur un bout de nappe imbibée prendre le dessus et revêtir une portée inespérée et – parfois – cannibale d’un point de vue populaire ? Au point d’éclipser le projet initial et jeter le trouble sur son bien-fondé. On imagine facilement que l’idée des Clopes soit née dans cette frénésie de pistes qu’emprunte Kim, tout feu tout flamme, accompagné ou pas. De l’ignoble (c’est voulu) Jean-Pierre Fromage au délire infantile de Monstre Moche, l’homme n’en est pas à son coup d’essai, sans qu’on sache vraiment s’il s’agit de tenter tout ce qu’il est possible de tenter dans un geste désespéré parfois fatigant à suivre pour l’auditeur, ou s’il s’agit d’une passion musicale dévorante qui pousse ce vétéran de la pop indé à s’amuser avec tout ce qui lui passe entre les oreilles (de la musique sérielle au rock allemand, de la valse au gamelan, pourquoi pas ?) et d’occuper le terrain (du streaming). Un peu des deux mon général, sans doute.

Et c’est là que ça se complique (un peu) : dans quelle petite case va-t-on ranger Les Clopes, on est là pour ça ? Pastiche, détournement, moquerie ? Blague festive qui tourne mal ? Ou bien, ça dépend où l’on se place ? S’il est clair que Kim et ses musiciens utilisent les clichés d’une new wave (voix hantée, instruments post punk), ils parent leurs mots d’un second (troisième, quatrième) degré qui pourraient faire mal : faire mal à ceux qui utilisent ces mêmes mots sans distance, parce qu’ils n’ont que ceux-là pour s’exprimer.

Alors soit, Les Clopes utilisent par là même une distance temporelle en jouant sur des typologies des années 80. Riffs entrainant, refrains gueulés, tout est là pour déchaîner les petites foules de jeunes gens venus pour se mettre la tête à l’envers. Et ça marche. Il faut avoir vu les petites foules se déchainer et chanter en chœur les refrains entêtants, répétitifs du groupe marrant. On peut dire aussi que l’histoire du rock est possiblement une vaste comédie : des robots de Kraftwerk aux crétins professionnels des Ramones, des mongoloïdes de Devo aux juste-au-corps roses de Katerine, on est plus à des lunettes de plastique blanc prêt.

Les Clopes
Les Clopes

Là où c’est encore plus marrant, c’est qu’on est déjà au 3e album des Clopes, et que si le groupe ne va pas lâcher une affaire aussi juteuse (on imagine le beurre – des concerts pleins – et l’argent du beurre – des cachets d’intermittence réguliers), on sent le groupe concerné puisque le soin apporté aux disques est de plus en plus pointu au point de dégager une véritable personnalité, portée bien au-delà d’une simple recette laborieuse. On tient quelques chansons ambitieuses et efficaces sacrément troussées. Il y a du savoir faire, c’est sûr. On atteint même des petits sommets avec ma chanson préférée, Complètement Schlag, portée par la voix de Cléa Vincent, de l’aventure depuis le début. Presqu’un classique rétromaniaque qui va chercher Lio pour la croiser avec Marie Klock. Les pistes sont tellement bien brouillées qu’on sort de Troa avec des nœuds dans la tête, un disque de notre temps, qui conjugue calcul et spontanéité, cynisme et rire franc, simplisme et sophistication : imaginer ce mème avec un schéma et des ensembles qui se croisent, c’est un peu ça Les Clopes, au milieu de plein de trucs. On peut s’interdire de les aimer, ils reviendront par la fenêtre de la maison de votre bon goût. Tant pis pour les vrais gamins qui fument des clopes dans les bunkers, au moins ils ne sauront jamais qu’un groupe de musiciens les tournent en dérision pour le plus grand plaisir de leur public et s’ils l’apprennent, parions qu’ils rejoignent la fête, sans retenue aucune, ils seront les bienvenus.


Ce texte est paru sous forme papier dans Groupie N°10.

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