Lucas Lecacheur est (presque) aussi insaisissable que productif. Nous l’avions connu à travers les Bad Pelicans, trio garage à la morgue toute adolescente, énergie garantie en live, un groupe qu’il compose avec Simon (Hérisson Superbe) et Fernando (à l’origine du délirant Superlife + Cyclisme). Si la bande contribue activement au projet 1 EP par jour, dont nous vous laisserons le soin de creuser les méandres entre deux salves des musiciens de TH Da Freak, il forme également It’s Sunday, un duo avec Dawnie Perry dans une veine indie rock / pop slacker. L’album est d’ailleurs attendu début 2019 sur Howlin Banana. Enfin, restent ses nombreuses productions personnelles, souvent en français, qu’il divulgue généralement sous le nom de Lemon Swell. Son chemin a croisé celui de quelques labels underground du cru, notamment les vidéastes de tcritromal (Los VVs, Ours Blond, Wonderflu, Deaf Parade) ainsi que le label presque-célèbre Montagne Sacrée (En Attendant Ana, Satellite Jockey, Belmont Witch). Au delà des K7, le productif français a compilé Je m’appelle Lucas, un recueil de 14 titres, comme une suite à sa Summer Dauphin Compil’ publiée il y a tout juste un an, au même endroit et dans le même format : en mp3 sur le bandcamp de La Souterraine, en prix libre. Cette productivité acharnée, que nous associons généralement plus volontiers aux Américains dans le sillon de Ty Segall, ne doit pas vous détourner de la pop claudicante francophone de Lemon Swell. Au delà de quelques (rares) redondances (VHS Paradise Trip), le projet étonne souvent par sa grâce planquée sous une épaisse couche de saturation ou de textes quelque peu absurdes. Lucas le décrit comme étant le reflet de trois orientations différentes: « essais électroniques, méga lofi et rock français ». La position de chacune des chansons dans la classification personnelle du musicien n’est pas si évidente, en revanche d’autres influences piquent notre curiosité. Je M’Habille, Surfer aux Grenettes ou Tous Au Poney inventent une suite au classique de Wavves King of the Beach (2010). Tempi relevés, textes fendards mi-bouffons, mi-mignons sur des guitares surf saturées et des mélodies bubblegum, les titres sonnent comme de petits tubes sucrés mais pas niais, à fourrer dans la poche arrière de son short pour l’été qui se profile (si la pluie cesse). D’autres chansons évoquent curieusement les débuts d’Aline, notamment avec leur EP fondateur chez La Bulle Sonore. Le chorus ample et soyeux de Bois de Vincennes MM, les lignes de guitares sinueuses très New Wave d’Un Fin Gourmet tirent ainsi un trait entre les 80’s et la scène française pop que nous défendions ardemment il y a sept-huit ans (Pendentif, Marc Desse). Lemon Swell excelle aussi à transposer la décontraction saturée de Pavement (Pijama, Comfortable). Nous sommes sous le charme des indolentes Oui et Toi + Moi, alanguies et slacker à souhait. Parfois Mac DeMarco pointe le bout de son nez , son influence traverse la géniale Playstation 2 et l’inoubliable formulation jouer à la console, me console balancée avec un aplomb qui force le respect et rend la chose crédible. Enfin Lucas emprunte parfois au shoegaze ses volutes brumeuses et ses mélodies cafardeuses (Famille). C’est peut être dans cette dernière voie que Lemon Swell signe ses deux chansons les plus belles et touchantes. La Vague brille par son dépouillement, et le Français abandonne le superflu dans un maelstrom de guitare spatiale et une voix en retrait. Malibu est une complainte bancale dont la mélodie semble vouloir se briser contre les rochers. Elle tient en équilibre comme par miracle, un instant de grâce cherchant à disparaitre aussi tôt au fond d’un océan. Je m’appelle Lucas, en plus d’être une œuvre relativement homogène, offre l’une des plus belles professions de foi pour la pop française de 2018, soit un truc sincère, foutrement juste, parfois un peu instable mais avec toujours assez de malice pour retomber sur ses pattes et nous attraper.
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