En studio avec The Married Monk

Photo : The Married Monk
En sommeil depuis une décennie, l’entité Married Monk, emmenée depuis toujours par Christian Quermalet, vient se rappeler à nos bons souvenirs avec Headgearalienpoo (tromblonnage approximatif du grand Edgar Allan Poe), un disque aussi surprenant dans son apparition tardive que par son contenu. D’une excellence rare, on y retrouve un songwriting unique en ces terres, et un travail sur le(s) son(s) qui emprunte et son histoire et sa créativité au Krautrock – des plages les moins offensives de Neu! à sa noble descendance, Broadcast en tête. On y choisira aussi quelques clins d’yeux à l’ami Dogbowl (Bus), Dylan (Bomb On Blonde) et The Cure (10:16 Saturday Night), surtout sur une reprise très risquée mais réussie jusqu’au grandiose de Siamese Twins (Pornography, 1982), puisqu’en plus d’y garder la douleur originelle, on sait la tempérer à l’ombre d’un grand calme que n’aurait pas renié Mark Hollis. Et je ne dis pas ça souvent. Impressions d’enregistrement par les concernés.

CQ

Le décor est planté: Strasbourg, fin de l’hiver 2017. Nous allons vivre, Mitch, Tom et moi dans un petit studio (on dirait presque une cellule monacale), loué par notre maison de disques. Endroit exigu, donc (20…25m2 à tout casser), mais pas dénué de charme. Cela dit, nous ne le fréquentons qu’entre 21h et 8h du matin. Huit heures du matin, c’était en gros l’heure à laquelle je me couchais parfois, lors des sessions d’enregistrement des précédents albums, après des nuits de beuverie, de fiesta de tout poil ou d’insomnie… Rien de tout cela cette fois-ci. Discipline et concentration sont au programme. Let’s go!

CQ / Photo : The Married Monk

Sortir la créature Married Monk de dix ans d’hibernation, en croisant les doigts pour qu’au final, elle se réveille de bon poil et se lève du bon pied, était mon souhait premier. Mais bien qu’entouré de deux Maestri de la plus belle étoffe, j’avais l’estomac noué en ce premier jour de studio, et les mains ankylosées. Je savais cependant que cet album allait être différent des autres. Pas forcément dans sa facture finale, mais avant tout dans son élaboration, dans sa

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construction, sa musicalité, dans l’ambiance qui régnerait pendant les sessions. Après quelques jours, je commence à me détendre. Le navire est à flot et se débrouille plutôt bien, au plus près du vent. C’est comme si Mitch, Tom et moi-même nous connaissions “musicalement” depuis des années. Nous faisons en sorte que l’approche de chaque morceau soit unique. Pas d’automatisme: à chaque chanson sa propre cuisine. Le studio devient un laboratoire : pendant que l’un enregistre une guitare, les deux autres planchent sur une partie de claviers ou de percussions, etc… Ça roulera comme ça pendant onze jours. Amen.

Tom

Tom / Photo : The Married Monk

Strasbourg, un matin de février 2017. Tu te réveilles en réalisant à quel point tu n’as jamais aimé les « remplaçants « . Le type au carré court trop gras pour être honnête qui a remplacé Butler dans Suede. Ron Wood et sa tronche de Rod Stewart de seconde zone. Les bassistes qui ne sont jamais arrivées à la moitié de la cheville de Kim Deal. Mauro Pawloski qui en fait des caisses chez dEUS. Tu te rends soudainement compte que t’as toujours plus ou moins fait partie du camp des pénibles trouvant systématiquement que c’était mieux avant, quand il s’agit des groupes qu’ils aiment. Tout ça te pète au visage au moment où tu réalises que Christian a dormi dans le couloir du studio loué pour le temps de la session, tandis qu’un Mitch à l’œil aussi vitreux que vaguement belliqueux t’explique que t’as ronflé comme un bûcheron. Un peu comme quand tu passais les concours d’orchestre où tu remettais tes fringues de civil après le premier tour, en pensant qu’il n’y en aurait pas d’autre, tu ne défais pas ta valise. Il se pourrait que tu rentres à la maison dès ce soir, ne serait-ce que pour garantir un sommeil peinard au reste du groupe.

Tom / Photo : The Married Monk

C’est pas simple de savoir ce que tu as en tête quand tu fais un disque. Dans l’absolu, croire que les sons qui finissent gravés sur le master sont le résultat d’un processus intégralement réfléchi et intellectualisé est une vaste blague. Enregistrer un album s’apparente bien plus souvent à barrer un bateau sans prêter attention aux courants et autres vents contraires. Tu finis souvent à bon port, mais rarement dans celui prévu. Ça se complique un peu plus quand c’est le disque d’un groupe que tu admires, et dont tu connais la discographie jusque dans les moindre recoins. Tu te sens comme l’avant-centre du FC Pagny sur Moselle, à qui le Barça demanderait de venir taper le ballon en finale de la Champions League. Ça se gâte carrément quand, concrètement, le groupe n’a jamais joué ensemble avant le premier jour de studio. Ça se corse définitivement quand tu prends conscience que, ça y est, le clic est lancé. A ce moment précis, t’as même plus rien dans la tête à part un vague truc qui rappelle la sauce blanche du kebab qui va devenir ton repas de midi pour les onze jours à venir. Et puis tu joues. Et ça se passe comme sur des roulettes. Naturellement. Bien évidemment, cette première prise du premier jour du premier morceau qui deviendra le premier extrait de l’album ne fleure pas encore complètement la décontraction. Il s’avère même qu’on refoutra tout par terre deux jours plus tard. Mais la machine est lancée et ne semble pas franchement avoir besoin de rodage.

8h, vingt-cinq cafés et trente clopes plus tard, sur le chemin qui te ramène à la cellule monacale de la rue d’Obernai, t’as du mal à croire que tu viens de finir ton premier jour de studio avec The Married Monk. Dans ta tronche lessivée par les prises, il y a comme un décalage, un truc difficilement palpable qui te titille comme un aphte sur le voile du palais. T’y penses au moment ou Mitch allume la télé alors que Christian enchaîne les anecdotes sur le passé du groupe. R/O/C/K/Y et les autres albums ne seront jamais les tiens, ils appartiennent à une autre histoire et tu les considéreras toujours en tant qu’auditeur, en tant que fan. Au moment des répétitions, presque un an plus tard, en jouant Greyhound ou Tell me Gary, le syndrome du remplaçant refera un peu surface. Mais ce soir de février 2017, tu te dis qu’il ne manque pas grand chose pour que l’album qui s’écrit là, maintenant, soit le tien. Tu n’y remplaces personne, et en regardant Fillon patauger devant les caméras de BFM dans ce qui deviendra l’inévitable soap du soir, tu te dis que comme lui, tu iras jusqu’au bout.

Mitch

Mitch / Photo : The Married Monk

« Vivre vite et mourir jeune », comme disait l’autre. Cette devise n’a jamais été, et ne sera pas celle des MM. Et pourtant, ma relation avec le groupe a été actée par quelques fulgurances. Je rencontre le groupe en décembre 1996 / janvier 1997, et je pars sur scène avec eux. Vingt ans après, en février 2017, je rencontre Tom, la veille de rentrer en studio. On a une soirée pour faire connaissance, dix jours pour faire un album, après dix ans de silence… Des groupes prennent des autoroutes avec GPS, tandis que nous, on a toujours pris la départementale avec une carte périmée. C’est plus long, incertain, mais tellement plus beau… Tout ça pour en arriver à mon état d’esprit pour ce disque : je dirais qu’il était heureux de retrouver son premier amour, de constater que le charme, malgré les années, était toujours présent, qu’il n y avait pas de pression, aucune attente de l’extérieur.

Mitch / Photo : The Married Monk

Il s’agissait juste de passer un bon moment, faire au mieux avec le temps imparti. Et comme d’habitude, servir la chanson au mieux, ne pas trop se poser de questions, suivre l’instinct. D’ailleurs pour la plupart, les premières prises sont sur le disque. On parle peu, on joue beaucoup, le labo des idées tourne à plein. Tom papillonne d’instrument en instrument, il comble notre manque de « technique ». Il apporte beaucoup, c’est chouette. Avec Christian, on est heureux d’être là. Encore une fois, on se pose pas de questions, et parfois on se dit que ça, on n’aurait pas pu le faire avant. Mais après l’avoir dit, on garde le cap vers l’avenir. Le passé est source d’anecdotes, mais n’est pas moteur du présent, ni du futur… On fait un album des MM comme le groupe l’a toujours fait. Aux autres maintenant de dire ce qu’il en est, pour ma part j’ai été heureux de retrouver la maison-mère. Je ne sais pas s’il y aura une suite, mais encore une fois, vivre vite et mourir jeune, ça n’est plus pour nous, donc…

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