« La présence des autres rend tout facile, nous nous sourions entre deux rires, le brouhaha berce nos rêves et nous voulons être seuls, mais l’absence des autres rend tout fragile, nous nous évitons entre deux rires, le silence disperse nos rêves et tu voudrais rester seule »
Mesurer l’importance d’un groupe est compliqué : dans le cas d’un groupe aussi furtif que Le plus simple appareil, ça devient même un véritable casse-tête. Géographiquement, le trio, récemment ramené à son noyau familial, deux frères, est isolé. Pas simplement par le fait qu’il ne développe aucun contact avec quelque scène que ce soit, au niveau national, ni dans sa ville, Strasbourg, dont il est pourtant l’un des plus constants et fervents habitants. Isolé, L+SA l’est aussi à plus grande échelle, absent des circuits souterrains, des fanzines, de la presse. Invisible. Il fut bien question dans les années 1990 d’une rumeur de rapprochement vers un label en vue, mais le temps a passé, le label a disparu et personne n’est vraiment plus là pour témoigner. Isolée, l’entité l’est aussi du public, si ce n’est une série de concerts mémorables en appartements au tournant des années 2000, dans une époque où personne n’était vraiment équipé pour immortaliser ces moments. Isolé et réticent jusqu’à l’obsession à se voir figé à jamais sur un support qui lui échapperait, le groupe, presque malheureux, doit bien se rendre à l’évidence que ses chansons lui échappent et circulent sous le manteau.
Il y a bien eu, à leur pleine volonté, des CDR collés sur les murs de la capitale européenne en 2002 dans un geste politique clair et net (une reprise du Voilà, voilà de Rachid Taha accompagnée d’une très belle chanson originale Des étoiles) au moment du deuxième tour des Présidentielles. Il y a bien eu cette timide tentative de se couler dans le moule numérique, et il y a encore, et surtout les généreuses chansons de Noël, qui depuis 1989 égayent « ceux qui ont croisé leur route, parfois sans même le savoir » selon l’expression consacrée par le groupe. Ces chansons annuelles sont les pointillés d’un lien profond que le groupe offre à son entourage large (jusqu’à 500 personnes), comme public idéal, choisi, qui reçoit, dans sa boîte aux lettres, un CDR entre Noël et Nouvel An, invariablement. Ces chansons dessinent aussi la courbe des évolutions du groupe, sur un temps long, témoignent des nouvelles obsessions qui le travaillent, tout en révélant cette spirale qui nourrit cette œuvre habitée en perpétuelle recréation.
Il était possible de douter de ce que le groupe avait à offrir tant il semble se suffire à lui-même dans le huis-clos des répétitions. C’est là que bat le cœur du groupe, cet espace de tensions créatives ultimes, d’où, il faut bien le dire, nombre de groupes ne devraient s’autoriser à sortir. C’était sans compter sur l’obstination de Scum Yr Earth, l’étrange label parisien de cassettes bruitistes (et affiliés), et l’insistance quasi suicidaire de Michel Wisniewski, l’une de ses têtes pensantes, à convaincre Le Plus Simple Appareil de se dévoiler sur un support pourtant connu du groupe, une double cassette (les chansons de Noël étaient distribuées dans ce format dans les années 90), dans un environnement graphique sobre et émouvant (les dessins de Jacques Noël, tenancier héroïque du Regard Moderne). Après de nombreux rebondissements d’émotions et de fabrications, la première référence discographique du groupe L+SA est enfin disponible depuis quelques jours : une cassette avec une captation d’une apparition aux Instants Chavirés de Montreuil, en 2003, archive d’une des seules performances du groupe passée l’Ill, la rivière qui enserre le centre-ville de Strasbourg où se cachent les différents QG du groupe. Le groupe jouait, à l’invitation de Sun Plexus, autre émanation complotée dans la capitale européenne, quelques classiques de son répertoire (Deux zéro zéro zéro, Chaud et froid) et trois reprises en l’honneur de chacun des membres du trio énervé : deux traductions de Before (Avant) des Pet Shop Boys, Clash et son Corner Soul magnifié en Sang, or noir et Anarchie au Palace (rebaptisée L’anarchie) de Métal Urbain. La seconde cassette présente L’amour totalitaire, un des sommets du groupe, pièce sans concession, hurlante et agitée, ainsi que la longue bande originale d’un film créé par l’artiste plasticien, Pierre Filliquet, proche du groupe, montrant la souplesse du dispositif mis en place par le trio, peu amène à l’étiquette, toujours au service de la musique.
Quelle est cette musique, produit de ce long processus de rétention, quasi invisible aux yeux des étrangers au groupe même ? Il y a d’abord une voix, celle de Joël Danet, qui pourrait sortir d’un gramophone, d’une vidéo d’un programme d’informations de la télévision en noir et blanc, comme d’une bande magnétique de la new wave française des années 1980 (un lien lointain avec l’organe de Guillaume Israël de Modern Guy, peut-être). Expressive, expressionniste même, elle joue des mots à la roulette russe, sans détour, sans affèterie, sûre d’elle-même et de son pouvoir tremblotant : sa littérature à l’allure intemporelle chante des lignes poétiques empreintes de tristesse et de colère coincée dans la gorge, soulignant la petitesse de nos attitudes devant la grandeur de sentiments ou de situations qui nous dépassent (« Je ne fais rien en sorte pour mériter le millenium, je reste à hauteur d’homme » ou « J’en suis au point de croire qu’il est toujours trop tard pour bien faire »). Il y a une guitare, celle de Thierry Danet, le grand frère du chanteur, toujours jouée à l’étouffée, bridée, qui se décharge en riffs étriqués ou en arpèges tordues sur des boîtes à rythmes parfois abstraites, parfois directes, fascinées par la dance music, contrariées. Les enluminures synthétiques lancées par Marc Fischer finissaient d’emplir un espace finalement assez chiche mais totalement signé par cet alors trio étonnant. L+SA, c’est une chanson française radicale, infusée d’expériences rock’n’roll locales (les trois ont frayé dans cette scène punk des années 80 à Strasbourg, notamment au Bandit, où les groupes portaient des noms imagés comme M et les Maudits ou Les Espions), d’une admiration sans faille pour les grands mélangeurs modernes (The Clash) et les intransigeants incorruptibles (Wire), et d’une curiosité insatiable pour les expériences électroniques britanniques house et post house. Cette musique, profond reflet de l’âme de ses exécutants, ne se dépare jamais d’une certaine rigueur, d’une certaine froideur parfois, mise en balance par une très grande générosité, vive et frontale qui laisse auditeurs et groupe dans le même bateau, dans le plus simple appareil. Et c’est sans doute de cette importance dont il est question avec eux, moins celle d’une histoire validée, que celle d’un double itinéraire intime qui nous mène à un groupe, qui vient vers nous.
(illustrations : Jacques Noël)
merci d’avoir évoqué jacques noël et la fabuleuse librairie un regard moderne , j’etais et je suis toujours client occasionnel de la librairie depuis 2008 ,j’essaye une fois par mois de monté a paris depuis ma lointaine sous préfecture de province de l’ennui au confins des frontières nord est de la France ,et cela est toujours un plaisir de faire un tour chez un regard moderne ,cependant il est important de précisé que jacques noel ne fut que le vendeur du shop ,dans l’ombre le vrai propriétaire et mécènes c’est JEAN-PIERRE FAUR ,et jean pierre en matière de livre est aussi calé que jacques noel. la libraire existe toujours ,elle tenu par jean pierre faur et son acolyte dont j’ai oublier son nom (mille pardon pour ce défaut de memoire)