Quelques secondes avant la prestation d’une virtuose de la harpe lors d’une édition des Victoires de la musique classique, Frédéric Lodéon avait lâché cette phrase en direct à la radio : « Vous savez ce qu’on dit des harpistes ? Ils passent la moitié de leur temps à s’accorder et l’autre moitié à jouer faux ! ». Tous ceux qui ont un jour eu une douze cordes entre les mains comprendront. Dieu merci, les pionniers de la douze cordes savaient (pour la plupart) s’accorder et ont su tirer le meilleur des possibilités de cet instrument au son carillonnant très typé.
Quand j’étais collégien, c’est en voyant Slash des Guns n’Roses dans le clip de Knock in On Heaven’s Door, avec sa Gibson EDS-1275 à double manche tout droit sortie de This Spinal Tap (Rob Reiner, 1984), que j’ai découvert qu’il existait des grattes à douze cordes. Bien sûr, comme tout le monde, j’avais déjà écouté Stairway to Heaven de Led Zeppelin – chanson sur laquelle Jimmy Page utilise la même gratte à double manche que Slash sur la reprise de Dylan-, Give a Little Bit de Supertramp, ou encore Wish you Were Here de Pink Floyd, mais à l’époque je n’aurais pas su distinguer une douze cordes d’une bonne vieille six cordes.
Comme beaucoup, c’est en devenant (très tardivement) fan des Byrds que j’ai réellement commencé à m’intéresser à la douze cordes. Il faut dire qu’avec ses arpèges magiques, Roger McGuinn a élevé la pratique de cet instrument à son apogée, contribuant largement à la diffusion du son jangly qui fera l’identité sonore de tant de formations pop, bien au-delà des sixties.
Il faut dire qu’à cette époque miraculeuse, les manieurs de Rickenbacker 360/12, de Gibson ES-335TD, de Vox Mark XII, de Fender Electric XII, de Burns Double Six, ou de Hagstrom Viking XII etc. n’ont pas manqué. Des Turtles en passant par les Zombies, les Troggs, les Rolling Stones, les Kinks, Del Shannon, Bob Dylan, David Bowie (qui a fait sa première apparition télé avec une douze cordes acoustique), les Beach Boys, Love, les Crystals (enfin plutôt Carol Kaye qui joue sur plusieurs de leurs singles), Jimi Hendrix, les Monkees jusqu’à Michel Polnareff, la douze cordes – acoustique aussi bien qu’ électrique – aura été largement utilisée. En 1963, Billy Strange – membre de la prestigieuse Wrecking Crew– a même sorti « 12-Sting Guitar » un album instrumental entièrement composé à la douze cordes acoustique.
Mais il faut rendre à César ce qui est à César. Ce sont les Beatles qui ont ouvert la brèche en 1964, avec l’utilisation par George Harrison de la deuxième Rickenbacker 360/12 jamais commercialisée ! C’est avec ce modèle qu’il enregistrera les immortels tubes comme What You’re Doing, You’ve Got to Hide you Love Away, Ticket to Ride et bien d’autres. Sur It’s Only Love, on peut également entendre une douze cordes acoustique jouée par John Lennon.
On prend conscience une fois de plus de l’influence colossale des Fab Four sur l’ensemble des groupes de leur époque et ceux qui suivront. Néanmoins, Harrison a un jour fait savoir à Roger McGuinn qu’il avait composé I Needed Someone après avoir entendu The Bells of Ryhmney des Byrds. Joli cercle vertueux !
Pourtant, si la 12 cordes a fait le bonheur des pionniers de la pop, en particulier dans sa version électrique, elle a été utilisée en version acoustique bien plus tôt. En se retournant sur le passé, on s’aperçoit que des légendes du blues et de la folk comme Lead Belly, Blind Willie McTell ou le Reverend Gary Davis s’en servaient déjà.
Et il ne faut pas oublier que ce pilier de la culture musicale américaine qu’est Pete Seeger jouait déjà de la 12-cordes dans les années 50. On ne manquera pas non plus de rappeler que cette icône de la folk a même enregistré The Bells of Ryhmney en 1957 et Turn Turn Turn en 1962 !, chansons capitales dans le répertoire des Byrds.