Sorti en janvier dernier sur Le Vilain Chien, il n’est jamais trop tard pour parler de ce classique immédiat et intemporel qu’est Espace Reggae Révolution, le second album du Chevalier de Rinchy, faisant suite à Mes Plus Belles Chansons d’Amour, paru en 2007. Entre les deux, il y a eu également le CD-R aujourd’hui introuvable Jingles, Interludes et Dimanche Minuit (2009), rassemblant nombre de jingles que Guillaume a dû composer quand il travaillait pour la publicité (il a aussi été acteur dans certaines d’entre elles). Ce nouveau disque du Chevalier propose ici vingt titres au cœur d’une trilogie impossible : l’espace, le reggae et la révolution. Vingt titres qui prennent le temps de s’étirer davantage que sur le précédent, car on y trouve cette fois des chansons quasi entières, avec des couplets, des intros, des ponts, et des refrains.
Mes Plus Belles Chansons d’Amour était un album contenu dans un 45t, bourré d’une soixantaine de tubes, d’une durée totale de 5 minutes ! C’était un épique recueil de chansons d’amour de moins de 10 secondes, des slows à la Christophe, mais présentés uniquement sous forme de mini-refrains, sans couplet ni intro. On se souvient avec tendresse d’Habitez-vous chez vos parents ?, d’Est-ce que tu veux Sonia ?, d’Il faisait vraiment doux pour la saison ou de Colette : « Colette, on se fait la bise, moi j’en fais quatre« , entre autres hits laconiques.
Le Chevalier de Rinchy, de son vrai nom Guillaume Bérinchy, est également la moitié du Club des chats, formation qui existe depuis une quinzaine d’années, basée à Chalon-sur-Saône, après avoir vécu à Pantin puis à Saint-Josse-Ten-Noode. Guillaume et sa comparse Maïa Roger (par ailleurs brillante illustratrice, en grande partie responsable des visuels du Vilain Chien) ont monté un lieu, Chalon 3000, à la fois galerie, atelier de sérigraphie, et boutique où ils vendent disques et fanzines de fabrication maison (Les Joyaux de la Couronne) ou de maisons d’amis, et organisent des ciné-concerts pour les enfants, en réalisant la musique et les dessins animés.
Et Guillaume tient le label Le Vilain Chien qui a sorti en K7, vinyles ou jadis CD-R quelques fleurons de la lo-fi expérimentale française tels que Régis Victor, Oso El Roto, Anne Laplantine, Laurence Wasser, ainsi que le disque Atelier Rock et Animaux (réalisé au cours d’atelier avec des enfants en France, Italie, Belgique, Suisse, Luxembourg et Serbie) ou prochainement la K7 de La résurrection du crotale (« en quelque sorte le nouveau Club des chats dans un style 100% trans boa !« , dixit Guillaume) ou le dvd de Tournissimo, hilarant dessin-animé sur les tournées DIY réalisé par Guillaume et Maïa. Quand on lui demande le choix de ce nom au caractère si noble de Chevalier de Rinchy, Guillaume Bérinchy répond simplement : « À une lettre près j’avais une particule, alors… Je crois que quand j’ai commencé ce projet, j’étais dans une période assez optimiste et j’aimais bien le côté grandiloquent et suranné. J’ai grandi à la campagne, avec des chevaux et j’aime bien les vieux châteaux. J’aimerais vraiment vivre dans un château et le laisser s’écrouler tranquillement, jusqu’à ne plus pouvoir vivre que dans la dernière pièce qui a un toit. Puis partir pour un autre château…« .
Espace Reggae Révolution s’ouvre par Intersidéralité, instrumental d’une minute dix-huit dont le début aurait pu servir à l’ouverture de 2001, l’odyssée de l’espace, avant de nous entraîner sur un guilleret rythme reggae vers la deuxième piste : une reprise de La Makhnovtchina, hymne de l’armée révolutionnaire insurrectionnelle ukrainienne menée par Makhno en 1919, et dont on doit la traduction française à Etienne Roda-Gil. Voilà pour la révolution. En deux titres, les bases de la trilogie impossible sont posées avec une aisance et un aplomb remarquables par un Chevalier de Rinchy au meilleur de sa forme. Et l’on se rend vite compte que l’espace, le reggae et la révolution ne sont pas si inconciliables que ça ; après tout, l’univers étant en expansion, l’espace ne serait-il pas en perpétuelle révolution ? Et le reggae, n’est-ce pas une musique des opprimés, abordant des questions sociales et politiques épineuses ?
« J’avais fait écouter Mes Plus Belles Chansons d’Amour à quelqu’un qui m’avait conseillé de lire Fragments d’un discours amoureux de Barthes et ça a donné du sens à une idée un peu vague et tirée par les cheveux, j’ai continué dans ce sens. J’aime bien faire les choses comme ça, même pour m’habiller. Pour Espace Reggae Révolution, c’est un peu le même démarrage, un peu tiré par les cheveux. Je voulais faire du reggae alors j’ai commencé à faire quelques morceaux, mais ça n’avait rien de reggae.. Puis, on travaillait avec Le Club des chats sur un spectacle vidéo qui se déroulait dans l’espace, alors j’ai essayé de mélanger les deux ensemble, espace et reggae… Enfin, je voulais faire aussi un disque historique sur la Révolution française, hyper documenté, alors j’ai pas mal lu, puis j’ai dévié sur toutes les révolutions, l’Espagne, la Commune de Paris, les chants révolutionnaires, le syndicalisme, l’anarchisme… Bref tout ça s’est complètement mélangé. » Le disque déroule ainsi ces trois fils conducteurs, en un coq-à-l’âne erratique tiré par les cheveux, une musique pataphysique en quelque sorte, un peu à la manière des premiers Soft Machine, et surtout de Mayo Thompson, l’influence majeure du Chevalier : « Ce qui m’a permis de faire la musique c’est d’avoir écouté The Red Krayola et Mayo Thompson. Tout était devenu possible. » Et en effet, quand on réécoute le fabuleux Corky’s Debt To His Father par exemple, l’évidence est frappante : même liberté débraillée dans des compostions en apparence bancales mais dont l’exécution exige en fait une grande rigueur. « Et ce qui m’a encouragé à continuer c’est d’avoir rencontré Oso El Roto je pense, Il a une force créative incroyable, une persévérance diabolique, et il convoque avec lui toutes sortes de forces mystiques. J’adore cette énergie qui permet de faire exister des choses complexes assez simplement, en toute tranquillité.«
Guillaume enregistre tout chez lui, dans son « bureau ». Il utilise des instruments bricolés, des flûtes, des synthétiseurs (un vieux Roland SH-1000, plusieurs claviers Yamaha souffreteux de la gamme PSR et des Casiotones), et des boîtes à rythme du type Mini Pops. Il compose et enregistre à peu près en même temps, le processus est extrêmement rapide. « J’enregistre hyper vite les prises et je garde quasiment toujours la première, il y a toujours des erreurs involontaires ou des imperfections qu’il est impossible de contrôler, ou de reproduire. De la même manière, je mélange souvent des instruments électroniques et acoustiques comme des petites flutes un peu usées ou un hautbois hérité de ma grand-mère qui ne peut pas sonner juste. » Lors des concerts que le Chevalier de Rinchy donnait il y a quelques années, il était impressionnant d’entendre des compositions en apparence aussi déglinguées jouées avec une certaine précision (les chansons d’amour de dix secondes du premier album), avec un groupe de musiciens, dont le fameux Oso El Roto, qui enchaînait les pièces à toute vitesse.
Aussi, la musique du Chevalier n’est jamais triste, foin de mélancolie ici, sauf peut-être dans l’émouvante Mon chien chinois, sur le désir d’avoir un chien, mais c’est une mélancolie déguisée en clown : « Ah oui ! J’ai fait un test sur internet : Quel est votre chien idéal ?, et j’ai rempli toutes les infos demandées. Si je voulais jouer avec lui, si j’aimais voyager, quel type de canapé j’avais et boum, résultat : votre chien est Le chien chinois nu à crête. Je ne connaissais pas. Je suis allé voir sur Internet et j’ai adoré ce chien. J’en croise parfois avec bonheur et j’aimerais en avoir un… quand j’aurai mon château !«
La fantaisie peut être purement triviale (Oui j’aime beaucoup les fruits, J’aime le pain et le fromage), honorifique (la chanson de 23 secondes Elli Medeiros, où tel un Antoine Doinel, le Chevalier répète le nom de la chanteuse de Main Dans La Main), très référencée (Etagère 1, dont les paroles sont les titres des livres qui se trouvent sur… l’étagère 1), ou évocatrice de l’histoire des révolutions (l’inquiétant et étrange Ils ont tué Eugène Varlin, Eugène Varlin qui était un membre de la Commune de Paris et de la Première Internationale), mais elle n’est pas aussi gratuite et décousue qu’elle peut en avoir l’air. Elle reflète le caractère du bonhomme, habité par des questions révolutionnaires essentielles : débonnaire, jovial, génialement iconoclaste. Le Chevalier de Rinchy est un de nos outsiders punk et pop les plus fortiches et les plus revigorants.
enfin ! Chevalier vous êtes sorti du bois !
mes hommage Mons Sieur de Rinchy
ainsi qu’à votre Dame l’Abeille