Il y a quelques nuits, certainement sous l’effet d’une pleine lune ou d’un mauvais vin blanc, je fis quelques drôles de rêves. J’imaginais dans ce songe à quoi pouvaient ressembler certaines villes du continent nord américain avant l’arrivée des européens. C’était très beau, très fort de voir et ressentir l’immensité de ces paysages, sans intervention humaine ou si peu. Je notais, par exemple, la beauté de Vancouver, les collines en précipice vers la mer, la hauteur majestueuse des futaies. Ce rêve de Vancouver, je le devais à mes récentes recherches sur Dan Bejar, le chanteur de Destroyer, qui y habite. Je découvrais ainsi d’autres acteurs et actrices de la ville dont un nom que je trouvais mystérieux : Veda Hille. Une musicienne étrange, atypique. Un autre nom sortait de ce feu des révélations : Nicholas Krgovich. Un discret artisan rappelant les grandes heures d’Arthur Russell et Robert Wyatt. Ces deux créateurs se retrouvent ces jour-ci, pour la parution d’un disque splendide : This Spring. Krgovich, il y a une quinzaine d’années avait envoyé, sur cassette, une reprise du répertoire de Veda Hille. L’artiste fut charmée. Le lien était consacré. Aujourd’hui, c’est un ensemble de covers que Krgovich donne à Veda Hille. Alors nous, orphelins des albums de Jens Lekman et Arthur Russell, nous sommes les bienheureux. Car This Spring, sa douceur éblouissante, son mélange de synthétisme et de micro-symphonie, nous évoque les songes lumineux d’un Commercial Suicide de Colin Newman en plus des sus-nommés. Le rêve et la réalité, les lourdes tensions entre ces deux grands pôles, c’est ce que l’on retrouve au cœur du travail d’Elisa Brilli et Giuliano Milani. Ils nous offrent une biographie monumentale du poète Dante, Des vies nouvelles. On voit cet homme étudiant le droit, consacrant des heures à la politique, se muer également en poète, poète ambitieux. Projeter la vie terrestre vers les cieux, imaginer et structurer tout un système, pour faire rencontrer le corps et l’âme. Culture neo-platonicienne traversée par des élans romantiques avant l’heure. Dante et l’amour, Béatrice encore et encore. Les frontières les plus éloignées finissent par se rencontrer un jour. Cet espoir ténu, c’est ce qu’a voulu filmer Abbas Kiarostami. Le Goût de la Cerise raconte l’histoire d’un homme sans grands espoirs, n’imaginant plus ses vies nouvelles. Et c’est par la rencontre des autres, la saveur des conversations que la vie récupère du terrain. Tout est beau dans ce film. On y ressent la joie de créer, une joie simple et définitive… Quel beau voyage.
La vie est un songe – Nicholas Krgovich, Elisa Brilli et Giuliano Milani, Abbas Kiarostami
Collage sauvage et de mauvaise foi de l’actualité culturelle de la semaine