Comment ai-je connu Hélène Frappat ? Je n’arrive pas à m’en souvenir et lorsque je me rapproche de la vérité de cet instant, tout se tait – tout meurt à la lumière. Peut-être était-ce près de la Fonte Gaia, à Sienne ? Jour de pluie où le brun sale des façades me remplissait d’une immense mélancolie. Non, c’était une nuit. C’était, une nuit d’été à La Rochelle. Le parfum de la glycine, les murs blancs et les mots prononcés très bas. Je lisais Sous Réserve, petit livre violet que je trimballais dans ma poche. Je tombais amoureux d’une écriture. Je voulais tout lire, tout voir d’Hélène Frappat. Je l’écoutais parler italien avec ravissement. Je relisais Kant, Adorno et Lyotard. Je visionnais encore et encore Les Amants Diaboliques de Visconti. J’ai effectué une courte vie de libraire dans le seul espoir de la rencontrer. Fabuleuse lectrice d’Henry James, ensorceleuse unique qui me fit regarder tout le cinéma de Jacques Rivette et lire, une bonne fois pour toutes, Stephen King. Hélène Frappat publie un livre de séquences, un puzzle amoureux – pour ma part – où j’apprends à la connaître via la littérature. C’est cette littérature que j’aime : secrète, mystérieuse presque cachée. C’est merveilleux, Le Mont Fuji N’Existe Pas. C’est merveilleux car il y a l’Italie et la plupart des obsessions d’Hélène Frappat : le secret, l’enquête, la trahison, l’amour et le cinéma. Au fil des pages, le souvenir du napolitain de mon grand-père surgit par effraction, mais aussi – la nuit à La Rochelle, la Fonte de Gaia. Tout me revient. La musique idéale, pour ce road-movie intime, a été publiée par Still Corners. The Last Exit, c’est l’aventure de l’exil, de ceux qui partent aux frontières d’un désert pour y trouver un accord personnel, une main tendue. Les discrets Tessa Murray et Greg Hugues nous livrent un disque de pudeur. Pudeur des références – Wenders, Lynch, Chris Isaak – qui viennent à notre rencontre presque par hasard. Les compositions ressemblent à un horizon en fuite où à d’immenses cavalcades. Impressions de douceur, de candeur. Tessa Murray, Hélène Frappat et Dominique Sanda… trilogie d’une blondeur énigmatique. Car mon film de cœur, film qui ne se dévoile jamais réellement, c’est Le Jardin des Finzi-Contini. Film de brume proustienne où la blondeur de Dominique Sanda se présente comme un feu pâle, un soleil fragile. La catastrophe fendille, grignote la beauté peu à peu. Vittorio de Sica met en scène, magistralement, cette état de veille qui s’effondre face à la dureté du réel. Oui, décidément, tout meurt à la lumière.
La Chanson d’Hélène – Hélène Frappat, Still Corners, Vittorio de Sica
Collage sauvage et de mauvaise foi de l’actualité culturelle de la semaine