Depuis 2019, Kit Sebastian construit une délicate discographie. Melodi (2021) succéda à Mantra Moderne (2019). Le groupe londonien ajoute ces jours-ci un troisième joyau à leur couronne déjà bien garnie. Toujours composé du musicien anglais multi-instrumentiste Kit Martin et de l’artiste chanteuse turque Merve Erdem, Kit Sebastian change de label mais certainement pas son propos. D’abord domicilié chez les têtes chercheuses de Mr Bongo (SOYUZ, Project Gemini, Sven Wunder, Marxist Love Disco Ensemble), le duo est désormais hébergé chez Brainfeeder (Thundercat, Louis Cole, Mr. Oizo), le label californien créé par Flying Lotus qui travaille main dans la main avec les vétérans de Ninja Tune. New Internationale (2024) reprend ainsi l’histoire à l’endroit où ses prédécesseurs s’étaient arrêtés.
Pour les retardataires, Kit Sebastian imagine une pop distinguée, piochant ses inspirations dans la musique psychédélique anatolienne (Barış Manço, Erkin Koray, Selda Bağcan) comme les yéyés (Gainsbourg, Françoise Hardy). Oud, santour, cithare ou sazbus bavardent avec orgue farfisa, guitare fuzz, synthétiseur et autres trompettes. Tout ce beau monde participe à créer une œuvre aussi intemporelle qu’élégante. Si Altin Gün ou Derya Yıldırım & Grup Şimşek offrent le cousinage le plus évident, Kit Sebastian convoque certainement d’avantage The Soundcarriers et Broadcast. Le duo exalte l’imaginaire et façonne des espaces de rêverie. Ancrée dans les codes des années 60-70, Kit Sebastian ne singe personne et navigue dans son propre univers. Chantées en anglais et turque, les dix compositions de New Internationale forment un tout d’une cohérence épatante. La production chaleureuse et organique met en valeur les superbes arrangements. L’album gagne ainsi à être écouté d’une traite, éventuellement au casque, les fesses posées dans un confortable fauteuil. Jamais éloigné d’un easy listening revitalisé, nous sommes alors emporté dans un tourbillon de délicatesse.
New Internationale comporte de nombreux temps forts. Camouflage lance un clin d’œil rythmique au catalogue Motown des Four Tops tandis qu’Ellerin Ellerimde tressaute d’énergie, à quelques pas du Egyptian Reggae de Jonathan Richman. La somptueuse Göç / Me imagine l’agent 007 dans les rues d’Istambul à la recherche d’un message à récupérer dans un bar clandestin. Elle est immédiatement suivie de la sompteuse The Kiss, parfaite chanson de fin de soirée dans un club de jazz enfumé, passée à siroter des Manhattans. Pas le temps de se reposer, il est temps de poursuivre le traitre, à toute berzingue, au son de Bul Bul Bul ! Espérons qu’EON productions pense à Odyssey pour un futur générique de la franchise. New Internationale est un album d’une densité exceptionnelle. Tout est ici magistralement mis en place et réalisé. Espérons que cet excellent disque fera gagner de nombreux adeptes au duo londonien, il le mérite en tout cas.