KG, Ein mann ohne feind (October Tone / Médiapop Records)

KG

Il existe une contrée foutraque où ne résonne aucune loi, où la réalité n’est que celle que l’on se créé, où les stratégies sont forcément obliques. Bienvenue au pays des merveilles de Rémy Bux alias KG qui distille lentement mais surement et depuis déjà trente ans une electro-noise-lo-fi et dont le dernier album Ein mann ohne feind sort sur les labels associés October Tone et Mediapop Records, l’autre prescripteur pointilleux de chemins de traverses mulhousien.

Quelques décennies donc que le manitou de Sausheim, son village d’origine dans la banlieue mulhousienne qui abrite sa maison et son studio, multiplie les projets sous-marins des plus crédibles aux plus improbables, de l’initial et bruitiste Sun Plexus avec le guitariste Sébastien Borgo jusqu’à la formation à choix multiple de Ich Bin, embarquant parfois deux frères potaches survoltés aux blagues dignes des meilleurs feuilletons de Placid et Muzo, en passant par des activités d’ingénieur du son pour le label soigné et strasbourgeois Herzfeld, sans compter, à coup sûr, d’autres activités non cartographiées. Lorsqu’on citait à Rémy, au début des années 90, des noms tels que Sonic Youth, Glenn Branca, Otomo Yoshihide ou encore Einstürzende Neubauten, on tapait systématiquement à côté et le maître déclinait toute responsabilité intertextuelle. Volonté de ne pas se laisser étiqueter, élitisme ou fausse modestie, l’histoire ne donnera pas de réponse, l’auteur n’avait pas l’air de se décider à se laisser évaluer et le lecteur repartait incrédule vers des contrées imaginaires lui appartenant à lui seul. C’est que celui qui, à l’époque et avec un léger penchant pour la provocation, portait un manteau orné de “KriegsGefangener” (KG) – prisonnier de guerre – n’était pas prêt à se laisser enfermer dans quoi que ce soit de bien défini.

Pour la sortie de Ein mann ohne feind, on pourrait bien se laisser tenter par l’idée de réitérer l’exercice et retenter la citation, d’Autechre à Pan Sonic, de The Orb à Jeff Mills en passant par un New Order qui se serait accouplé avec My Bloody Valentine et dont les enfants terribles ressembleraient à Anne Laplantine et à KG lui-même, sans être sûr d’entrevoir jamais un rayon de vérité. Le trésor de l’île Buxienne étant sûrement et entre autres (ou pas) le lieu du passage d’une dimension à une autre qui ne choisirait ni la facilité ni la ligne droite où son habitant serait un homme sans ennemi, sans visage, sans qualité, floutant les pistes, parlant toutes les langues, jouant de tout (guitare basse, batterie, claviers et bandes trafiquées) et nous entraînant dans l’infini mouvement temporel de l’arrachement à soi-même, cette même redécouverte de soi à chaque fois qu’on laisse entrer un nouveau son dans nos oreilles. Avec ses dix titres electro-wawe im deutsch à fond la caisse, psychoactifs, multilingues et déroutants à faire pleurer, KG convoque tout ce qu’un natif du siècle passé peut avoir emmagasiné comme fréquences hertziennes depuis son adolescence rebelle. Inutile donc de chercher la référence, elle est partout, diffuse, prégnante, à la fois évidente et illisible, chacun de ses albums faisant l’effet d’un V2. Passage Secret, sorti en 2014 ayant malgré tout imprimé à l’encre de sérigraphe l’étiquette electro shoegaze sur la créature cheveux au vent moulée dans un legging de cuir affichant avec autant de dérision que d’humour les coulisses de la starification, ventilateur deus ex machina et capot de bagnole en guise de scène… Projetant parfois Les Saisons d’Artavazd Pelechian pendant ses concerts, comme métaphore des violents remous des torrents d’une vie dévouée à la liberté et à la création, seule contrainte à sa musique, la seule qu’on peut imaginer octroyer à Rémy.

De ses albums en tant que contributeur à ceux réalisés sous le prétexte KG, Rémy Bux explore le son de l’entre-deux, un son comme autant de minces fragments de vie modelés en profondeur, parfois distordus, parfois poussés à l’extrême, aussi barrés fussent-ils, unique manière de vivre dans la paix. Avant le chaos total.


Ein mann ohne feind par KG est disponible chez October Tone et Mediapop.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *