Si vous en avez assez de votre boulot, du stress de la vie, de la misère sociale, que vous cherchez l’amour, le vrai, le passionné et romantique, celui pour lequel vous plaqueriez tout et partiriez vivre comme un punk à chiens, alors L’Appel De La Forêt est là, pour vous, avec l’amour comme principe à suivre, « surtout en ces temps tristes ». Ce disque est un bol d’air montagnard et Julien Gasc est l’Elisée Reclus de la pop. Géographe des sentiments, il s’affirme comme un poète dont les thèmes sont des plus classiques et absolus : l’amour des êtres et de la nature, le désir de faire corps et esprit avec tout. L’Appel De La Forêt, la chanson titre, est la plus belle lettre d’amour à l’âme de la forêt jamais écrite, et en l’occurrence, ici la lettre s’adresse aux premières forêts du parc du Haut-Languedoc, qui d’après les experts de la faune et de la flore que Gasc a contacté seraient nées il y a 55 000 ans. Gasc va jusqu’à hurler son amour (une première dans son œuvre) à la forêt. Et la voix de Catherine Hershey, la fée des bois, qui vient habiter tout le disque, est la chose la plus consolante qui soit. Gasc est l’ami que l’on aimerait pouvoir appeler à toute heure pour enfin pouvoir « se confier dans le calme ».
« And if you must go to work tomorrow, well if I were you I wouldn’t bother », chantait Morrissey. Gasc, lui, vous prend dans ses bras pour vous donner de l’amour et vous enjoint à démissionner : «si tu veux plus y aller, faut pas se forcer ». Car pendant que vous trimez dans un bureau en open-space avec des imbéciles, il nous écrit des chansons suaves, lumineuses, réconfortantes comme Maracabella et son choeur bossa nova, ou encore Les Flots et son texte sublime (« J’aimerais que tu peignes comme le font les flots qui viennent satiner la vallée ensablée« ), Passer, Laisser, ou We’re So In On Love. Il est le plus digne descendant de Chet Baker et de Pierre Vassiliu, dans la droite lignée des meilleurs panseurs des plaies du cœur par la grâce d’accords élégiaques et de textes intimes. Après Cerf, Biche Et Faon, le premier album terrestre, et Kiss Me, You Fool !, l’album des cieux, L’Appel De La Forêt, l’album de la sanctification, vient clore un joli triptyque. Gasc, à l’instar d’un Burgalat, fait toujours le même disque : la structure de l’ensemble, l’agencement des chansons présente beaucoup de similitudes sur chacun des albums, et on peut les prendre à la fois comme des exercices de style pas très éloignés de Perec ou de Queneau, avec ce goût du récit, de la fiction, et cette façon d’incorporer des détails qui tiennent à la fois du jeu et de la confession, et à la fois comme des chefs-d’œuvre secrets à travers lesquels Gasc se met à nu. Sur Libertas Et Firegasc, il reprend par exemple mot pour mot ce qu’il a noté sur son journal intime le soir du 31 décembre 2018, alors qu’il attendait des nouvelles de sa dulcinée (« je suis dévasté et détruit, tu fais la fête avec tous tes amis, et moi je reste seul ») et ressentait le monde comme une jungle (« Je suis en plein anthropo-déni »).
On retrouve ainsi dans cet album toutes les qualités que l’on aime chez lui : la passion pour la chose pop, bien faite, sur une ligne claire mais savante, cette voix blanche feignant la nonchalance, une voix qui plane tel un albatros au-dessus de ce bateau ivre, chauffé à blanc de sons moelleux, emmené par une bande de marins-musiciens parfaitement rompus aux rythmiques compliquées, aux accords plaqués-décalés de piano et aux basses rondes et clopinantes. On aime cette liberté à chanter des choses très personnelles tout en évitant les écueils fourvoyés du réalisme froid. Sa manière d’écrire est proche des romantiques, des surréalistes et de l’Oulipo : une écriture où les idées coulent sans se poser la question, sans vouloir-dire et qui disent tout. Avec son côté flegmatique, Julien donne l’impression de s’en foutre, mais cela ne masque qu’une grande générosité de cœur, derrière des chansons parfois sibyllines, tout en private-jokes, il y a un cœur gros et lourd qui ne demande qu’à nous aiguiller, nous révéler ses bizarreries. Ses chansons sont toujours habitées, qu’elles soient le lieu d’une trêve internationale ou une forêt ancestrale, que ce soit dans la fiction (dans l’album précédent, Kiss Me, You Fool !) ou dans l’intime, Gasc est là, avec son besoin d’amour, sa mélancolie, son amertume « hors-des-je t’aime » qu’il change en « dans-les-je t’aime ». Julien est aussi un des derniers parangons français de l’idée de l’international, du sentiment européen romantique non mondialisé – fuyant les réseaux sociaux, vivant, travaillant un peu partout (Bruxelles, Londres, le Tarn…) observant, appelant à se débarrasser de ces oripeaux civilisationnels et à se trouver dans la nature, en se mettant à l’unisson des arbres, de la pluie, de la rivière qui se remplit.