Avant de poser Rare Birds sur la platine, je me méfiais beaucoup de ce que j’allais entendre. Tout d’abord parce qu’après deux albums splendides, Jonathan Wilson nous avait livré Slide By, un EP poussif (hormis Angel, une impeccable reprise de Fleetwood Mac). Ensuite le teasing de l’album s’est effectué avec des clips très vilains, aux images numériques périmées et d’un psychédélisme écœurant. On nous parla alors de synthés, d’électronique, de changements radicaux dans la production. Pendant des semaines alors, je n’arrive plus à écouter aucun disque folk de Laurel Canyon. Je dors mal. Je ressasse d’improbables rêves où David Crosby chante avec Devo. Parfois dans un cauchemar effroyable, Skrillex remixe Joni Mitchell. Je tente de calmer ces terreurs nocturnes en écoutant Trans de Neil Young. Mais en vain. Poussé par un relent d’audace, bravant les derniers avertissements lancés par cette infâme pochette, je me décide enfin à ouvrir ce Necronomicon bleu électrique.
Non seulement les premiers titres rassurent, mais ils subjuguent. Immédiatement. Avec Trafalgar Square, Over The Midnight et There’s a Light, Wilson érige une cathédrale de guitares folk, rock ou soul mâtinée de country. Une fois le décor planté, la pop retro délicieuse de Rare Birds va basculer imperceptiblement dans une autre dimension. Sur Sunset Blvd, il ralentit le rythme et déploie cordes et vocoder dans un ambiance onirique, voire cinématographique. Les claviers prennent une place centrale sur ce disque, mais pour autant, le musicien n’a pas radicalement modifié son écriture, ni sa production, comme on a pu l’entendre dire. En revanche, il a étendu sa palette, ouvert ses compositions à de nouvelles sonorités : il a mis du Air dans son CSN&Y, du Talk Talk dans son Jack Nitzsche et même du Dire Straits dans son Tom Petty. (Et au passage, il fait ça mieux que The War On Drugs.) A côté de ça, il récite aussi son Sgt Pepper comme personne (Miriam Montague).
Ce mélange de pop californienne 70’s et de rock britannique 80’s est parfois étrange, mais toujours délicieux. On ne peut alors s’empêcher de repenser à Pure Comedy, produit brillamment l’année dernière par Wilson pour Father John Misty, et dont Rare Birds est souvent proche. Si Josh Tillman avait su juguler son arrogance et son maniérisme pédant, son album aurait sans doute été un chef d’œuvre solaire et raffiné de la trempe de celui-ci.