Joe Pernice, Richard (Ashmont Records)

Il y a quelques mois à peine, Spread The Feeling (2019) mettait un terme bienvenu à une décennie de disette. Avec cette classe si particulière qui n’appartient qu’aux Immenses, Joe Pernice y renouait les fils de cette écriture aigre-douce – les textes pleins de mordant habilement dissimulés derrière un voile mélodique délicieusement molletonné – qui, à l’exception d’une brève collaboration avec son voisin Norman Blake au sein de The New Mendicants en 2015, n’avait plus brillé que par son absence depuis trop longtemps. Quiconque serait passé à côté de cet album scandaleusement mal distribué en dehors du continent nord-américain pourra s’y reporter d’urgence pour s’émerveiller rétrospectivement en contemplant le versant le plus solaire et le plus pop du génie de Pernice. Et découvrir, au passage, le meilleur titre de New Order depuis des lustres, Throw Me To The Lions. Moins d’une année s’est écoulée et la nouvelle surprise n’en est que plus divine. Comme au temps de sa splendeur la plus productive – la toute fin du siècle dernier, pour résumer – Pernice semble bien décidé à redonner un coup d’accélérateur à sa discographie en jonglant avec les alias et publie, sans le moindre apprêt superflu, douze nouvelles compositions de son cru qui paraissent déjà constituer un très grand album. Entièrement enregistré à domicile, au cours de la récente période de réclusion forcée, Richard ne possède certes pas le charme immédiat et rayonnant de son prédécesseur. Aucune tricherie ne vient se dissimuler derrière cette pochette très semblable à celle de Natural Progressions (1977) de Bernie Leadon et Michael Georgiades. Amateur éclairé de soft-rock, Joe Pernice y a peut-être songé. Il pose donc en la seule compagnie d’un verre vide et de sa guitare acoustique. Et c’est très exactement ce qu’il offre à entendre.

Aucune trace ici d’ornementation instrumentale raffinée ou de ces ponctuations rythmiques qui viendraient tempérer la tristesse uniforme qui ressort et submerge à l’écoute de ces onze complaintes dépouillées – plus un instrumental, We Both Know. Avec une honnêteté impitoyable, ces chansons nous ramènent inlassablement à la vérité qui les anime : on pourra toujours gloser sur l’anonymat des foules et la subjectivité des impressions éprouvées à leur contact, la solitude n’est jamais si poignante que lorsqu’on est tout seul. Sans relâche, Pernice s’engage dans le sillon fécond de cette lapalissade. Il y creuse pour en retirer les innombrables facettes de l’abandon et du deuil – de l’implacable matérialité de la mort (Spend The Mountain) au déclin du trouble amoureux (My Long Black Shadow). Le regret est omniprésent et s’entremêle curieusement au sentiment de résignation face à l’inéluctable, comme dans le refrain déchirant de Richard, « Always alone, Always to be alone ». Musicalement, le ton est juste et sied parfaitement à la sobriété dramatique. L’ex-leader des Scud Mountain Boys égrène les accords acoustiques à l’allure brinquebalante du cheval fourbu, traduisant sans ostentation inutile une forme d’accablement qui n’exclut pas les pointes d’espoir. Il trouve dans cette forme inhabituelle un équilibre original entre la robuste charpente des ballades country, la coloration soul qui imprègne sa voix, plus qu’à l’accoutumée, et suggère quelques réminiscences du jeune Smokey Robinson et, enfin, les harmonies classiques de ses compositions mises à nu, comme une pop en chambre sans chambre ni confort. Né de ce mélange, un disque précieux : à la fois très triste et très beau.

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