A Granular Buzuk, un titre du deuxième LP de Jerusalem In My Heart (If He Dies, If If If If If If, 2015) qui exprime en une image frappante la singularité du projet multimédia du producteur libano-canadien Radwan Ghazi Moumneh. D’un côté le Bouzouki (« Buzuk »), un instrument à corde traditionnel du répertoire de la Méditerranée orientale. D’un autre l’adjectif « granulaire », qui renvoie à une technique de synthèse sonore bien connue des praticiens du sound-design aventureux. Une formule qui évoque un syncrétisme ethno-futuriste qui serait évidemment tout sauf arbitraire : on pense à Jon Hassel et son concept de « quatrième monde », comme esthétique de l’hybridation du modernisme avant-gardiste et des musiques dites « traditionnelles » – « Un son futuriste combinant les caractéristiques des différentes musiques ethniques et traditionnelles avec des techniques électroniques avancées ». Car les disques de Jerusalmen In My Heart explorent ces territoires aux frontières par définition indéterminées que constituent la rencontre des chants mélismatiques arabes et de l’expérimentation électro-acoustique.
Synthèse modulaire, field recordings, sampling lo-fi et bruitiste, autant de procédés permettant de jouer avec les codes d’un certain patrimoine musical moyen-oriental, celui de la K7, par un travail sur la matérialité sonore analogique. Précisons que le projet Jerusalem In My Heart est aussi et avant tout audio-visuel : associé ici à la réalisatrice et vidéaste Erin Weisgerber, le dispositif est celui d’une installation immersive, basée sur une série d’écrans et de projection en 16mm, qui radicalise un travail sur le son et sa tendance à l’abstraction hypnotique.
Avec ce quatrième disque sur Constellation, Qalaq (un terme arabe qui convoque l’idée d’une « profonde inquiétude »), Moumneh a convoqué une multitude d’invités – de Tim Hecker à Moor Mother, en passant par Oiseaux-Tempête, Lucrecia Dalt, Greg Fox, Rabih Beaini, etc. Pour un résultat impressionnant de maîtrise et de puissance d’évocation : drones, textures électroniques et collages de sons côtoient un chant habité par un lyrisme saisissant, porteur notamment d’une forte charge sociale et politique. Des titres comme Tanto ou Qalaq 7 marquent par exemple par leur minimalisme psychédélique et leur puissance d’évocation. Ou encore Sa’at et Istashraqtaq qui constituent autant de propositions fortes dans le domaine de la recherche sonore. Un LP qui s’impose de ce fait comme l’une des entreprises les plus fascinantes au sein du champ des musiques qualifiées d’ »expérimentales ». Et aussi comme l’un des disques les plus marquants d’une discographie qui se révèle comme l’une des plus singulières et décisives de ces dernières années.