J’avais laissé Jenny Hval, écrivaine et compositrice norvégienne de 39 ans, dans un rêve. C’était lors de son EP tout en digressions et reflets The Long Sleep. Projet tout à fait conscientisé de s’adresser au corps de son auditeur, Hval y théorisait un flux de sensations et de mots pour détruire les codes du capitalisme numérique – son sujet était alors de déjouer les cadres du streaming. Revenue de cette expérience à même le rêve, la Norvégienne propose cette fois-ci un album qui n’a rien de digressif. The Long Sleep était un objet accueillant et relativement simple d’accès considérant le reste de la discographie de la compositrice, The Practice of Love sorti chez Sacred Bones, confirme et accentue cette orientation.
Immédiatement chaleureux, l’album se démarque néanmoins du précédent en se montrant moins ancré dans mélodies méditatives et aux emprunts organiques. Ici, Jenny Hval va et vient dans des registres plus techniques, plus civilisés. Elle propose pour chaque chanson qui compose The Practice of Love, une structure empruntée aux architectures électroniques courantes – jusqu’à la house progressive. La matière éthérée se fait sculpturale et les sonorités plus industrielles. Au sein de ce nouvel écrin se déploie pourtant le même talent pour compiler, brasser et réverbérer du discours.
Par les nombreuses collaborations qui constellent l’album, Jenny Hval inscrit son album dans une écriture du féminin. Elle même romancière, elle fait intervenir la musicienne et plasticienne Félicia Atkinson, ou encore les musiciennes Vivian Wang et Laura-Jean Englert dans un dispositif où leurs voix viennent accompagner la multitude d’expressions que compte réunir Jenny Hval. Ainsi, le titre The Practice of Love s’installe comme un climax de cette mécanique en faisant intervenir des pièces de discours sur la féminité qui atteignent l’auditeur comme un flot de consciences discontinues, mélangées et in fine, aussi compréhensibles que baignées de mystères.
Jenny Hval, qui a déjà ratissé les sujets féministes avec Blood Bitch, fait ici intervenir son dispositif musical pour rassembler des paroles et des métamorphoses au féminin qui émeuvent ou restent lointaines, au choix et au fil des réussites et échecs de l’album. Cependant, Ashes to Ashes, le titre phare de l’album parvient à s’installer comme une pièce sérieuse des différents essais menés ici : excitant et parfaitement huilé, la mécanique électro quasi dance accueille une rêverie méta sur l’écriture de la chanson comme si elle sortait d’un rêve.
À l’inverse de ce que devrait produire la chanson la plus accessible et calibrée de l’album, Ashes to Ashes se montre parmi les plus intrinsèquement originales de cette collection. Tant son côté plasticienne du discours lui donne des côtés Jenny Holzer parfois clinquants, tant, fondamentalement, Hval reste une musicienne beaucoup plus intéressante que les étiquettes, toujours sauvée par son talent mélodique.