Il y a deux ans environ, on avait découvert Irmão Victor à l’occasion de la publication par le label toulousain Pop Superette d’un premier bilan compilatoire de ses cinq premières années d’activisme musical. Enregistré en partie en France et publié fin novembre, Mariposario confirme – et amplifie même – toutes les sensations les plus déroutantes déjà éprouvées lors de cette première rencontre mémorable avec les œuvres très singulières de Marco Benvegnu, le jeune songwriter brésilien qui demeure seul maître à bord de ce projet. Une pop séduisante et biscornue, où les mélodies limpides s’entremêlent aux stridences psychédéliques pour composer de petites vignettes sonores surréalistes. Rentré au pays natal après son escapade hexagonale, Benvegnu a consenti à lever quelques-uns des épais mystères qui entourent encore ses créations.
Une première compilation de tes chansons était sorti en France en 2019. Comment se sont déroulées ensuite la conception et l’enregistrement de ce nouvel album qui est, en réalité, ton quatrième ?
J’étais encore au Brésil quand tout a démarré. J’avais commencé à écrire quelques brouillons de chansons pour un nouvel album quand Pierre Sojdrug, le boss de Pop Superette, m’a contacté pour m’inviter à venir en France. Il venait de publier le vinyl, à la fin de l’année 2018. J’ai donc quitté Florianopolis et j’ai déménagé en Europe pendant une période assez longue. J’ai essayé de continuer de travailler sur ces nouveaux morceaux et de les enregistrer, mais avec le matériel forcément très rudimentaire que je pouvais transporter un peu partout avec moi. Quand je suis arrivé à Toulouse, j’avais déjà composé environ un tiers de l’album. Le reste a été conçu à Toulouse et à Tournefeuille. C’était un peu étrange et assez différent de ce que j’avais pris l’habitude de faire. Par exemple, pour les instruments, je n’avais emporté avec moi qu’un saxophone parce que je pensais que c’était le plus difficile à emprunter, parce que c’est un peu dégueulasse. (Sourire.) Tous les autres m’ont été prêtés sur place. C’était un peu difficile au début : je ne connaissais personne au début. Il a fallu que je sorte beaucoup pour rencontrer les gens, tisser de nouveaux liens et, au fur et à mesure, j’ai récupéré des amis et des instruments ! J’ai dû aussi me débrouiller pour trouver des endroits où enregistrer. Ce sont ces circonstances un peu particulières qui, je crois, ont beaucoup influencé, directement ou non, le contenu de cet album
Par exemple ?
Certains morceaux ressemblent un peu à des collages quelques fois. Il y a une des chansons sur laquelle j’ai travaillé successivement à Florianopolis, à Porto Alegre, à Lisbonne et, enfin, à Toulouse. Elle est constituée de petits fragments que j’ai enregistrés çà et là, avant de les assembler. C’était un peu chaotique.
De l’extérieur, ton écriture reste très mystérieuse. Il me semble que tu cherches souvent à condenser beaucoup d’éléments très différents dans un format qui reste assez court – trois ou quatre minutes maximum – et donc proche de celui de la pop. Comment est-ce que tu élabores tes chansons ?
Je compose en même temps que j’enregistre, en fait. En général, je pars d’une idée qui peut être une mélodie vocale ou une simple phrase musicale sur un instrument. Et je l’enregistre sans savoir très bien où cela va ne me conduire ni comment elle va évoluer ensuite, avec tout le reste. J’ajoute ensuite différents éléments en introduisant souvent des changements assez brusques. Je n’aime pas beaucoup quand le chemin qui mène d’une partie à l’autre est trop linéaire ou trop tranquille. Je suis quasiment incapable de composer des morceaux avec des refrains ou des parties qui se répètent. Je préfère rester dans le changement perpétuel, plutôt que dans la répétition des mêmes éléments. Du coup, je suis obligé de travailler en situation réelle ou face à l’ordinateur : l’écriture abstraite, sur papier, ne me convient pas du tout parce que je ne sais jamais à l’avance comment mes chansons vont sonner. Quand j’ai juxtaposé plusieurs instruments, les uns après les autres, je commence seulement à avoir une idée plus générale.
Est-ce qu’il y a une part d’improvisation dans ce processus ?
Oui, au départ. Pour moi, la composition apparaît presque toujours au cours d’une séquence d’improvisation. C’est très rare que je m’asseye avec ma guitare et une feuille de papier en me disant : « Maintenant, c’est décidé, je vais écrire une chanson ». Ce n’est pas une façon de procéder qui me convient et ça aurait plutôt tendance à me paralyser. Tout part plutôt de l’envie de jouer d’un instrument et, en improvisant, il finit parfois par apparaître une ou deux phrases qui me plaisent et qui me donnent envie de les travailler. Donc, au début, j’improvise un peu. Mais, une fois que je crois avoir trouvé la phrase musicale juste, je la répète ensuite de très nombreuses fois et, à la fin, quand j’enregistre, ce n’est plus du tout de l’improvisation.
Quelle est, par conséquent, la place qu’occupe le travail musical dans ta vie quotidienne ? Est-ce que tu t’imposes une forme de discipline ou est-ce que tu laisses venir spontanément cette inspiration ?
Je crois que j’ai besoin d’une discipline assez stricte. Mais il y a des périodes dans ma vie au cours desquelles je n’arrive pas à me l’imposer. Le grand problème est de parvenir à trouver les modalités concrètes qui me conviennent et qui me permettent de rester dans le cadre que je me suis fixé moi-même. Par exemple, cette année, j’ai essayé de construire des routines pour m’améliorer comme instrumentiste. J’ai donc commencé à travailler tous les jours de façon plus ou moins rigoureuse sur plusieurs instruments pendant tout le début de l’année. Mais, au bout du compte, je me suis aperçu que ça ne me convenait pas forcément et que ça ne me rendait pas très créatif. C’est très difficile d’inventer la bonne discipline, celle qui me convient au jour le jour. Quand je suis plongé dans le travail sur un album, que j’ai déjà trois ou quatre chansons en cours, c’est beaucoup plus facile et la discipline s’impose presque naturellement. Pour ce qui est de la composition et de l’écriture, c’est très complexe. Parfois, il ne faut pas chercher à se lever tôt et à se mettre au travail. La bonne méthode, ça peut être aussi de boire beaucoup, ou de sortir tard avec des amis ou bien, au contraire, de rester tout seul pendant des heures enfermé dans sa chambre. Il faut toujours explorer des manières différentes.
Tes influences sont très difficiles à détecter au travers de tes chansons. Quels ont été les premiers disques qui ont déclenché ton envie de faire de la musique ?
J’ai commencé à m’intéresser sérieusement à la musique quand j’avais environ douze ans. A cet âge-là, j’aimais beaucoup le rock, et même plutôt le metal. Le premier groupe dont j’ai été vraiment fan, c’est AC/DC. Ça a commencé quand un cousin m’a passé des cassettes où il y avait aussi Black Sabbath, Deep Purple. Pour ce qui concerne plus directement mes propres chansons, je me suis beaucoup intéressé ensuite au psychédélisme sous toutes ses formes, notamment à son influence sur la musique brésilienne. J’ai aussi beaucoup écouté de jazz à partir de seize ans. Je comprends donc que ce soit difficile de trouver des références dans mes chansons, d’autant plus que je fais exprès de brouiller les pistes. J’essaie d’éviter au maximum de laisser des références trop en évidence, même pour moi-même. Quand je m’aperçois que je suis en train de copier quelqu’un ou d’imiter un autre, je change parce que ça ne me plaît pas.
J’ai cru aussi entendre des références au monde de l’enfance dans tes chansons.
Tout à fait. Mes deux premiers albums que j’ai enregistré tout seul parlent presque uniquement de mon enfance et de mon adolescence. Il en reste sans doute quelque chose dans les albums les plus récents. C’est peut-être plus facile à percevoir au niveau de la musique mais c’est présent dans les paroles aussi. Je ne sais pas pourquoi en fait. Parfois, j’ai l’impression que je suis en train de me psychanalyser par l’entremise de mes chansons. J’ai même apporté toutes les paroles de Mariposario à ma thérapeute pour qu’elle m’aide à en saisir le sens.
Et le passage en français sur les chats dans Femme Plastique – » Je cherche des chats/Et je bois leur sang/Pour vivre leur vie » – elle en a dit quoi ?
(Rire.) C’est étrange, ça. Mes deux premiers albums étaient très centrés sur mon passé : mon enfance, mon adolescence. Mon troisième album Cronópio?, 2018 – et dans le nouveau, j’ai l’impression de m’intéresser davantage au présent. C’est en tous cas comme cela que j’interprète le passage que tu cites : quand j’ai déménagé à Toulouse, j’ai commencé par vivre quelques mois chez Pierre avant de m’installer dans mon propre appartement. Pendant cette période, je m’occupais souvent des chats des gens et des amis qui partaient en voyage, tout en cherchant moi-même un abri. Il y a toujours quelque chose de très autobiographique que je n’arrive pas à fuir dans ces textes, même les plus bizarres.
Il y a aussi un élément très visuel, presque surréaliste dans tes paroles.
Je connais assez mal le surréalisme. J’ai un peu la même approche que pour les instruments quand j’écris un texte. Si les paroles sont trop familières, trop proches du cliché, ça ne me plaît pas. C’est pour cela que j’utilise souvent des images empruntées aux rêves. Elles ont une syntaxe très différente du langage usuel. Au début, c’est souvent très nébuleux, même pour moi, et puis le sens finit par surgir, parfois très longtemps après.
Tu continues de jouer toi-même la plupart des instruments. Est-ce que c’est davantage une nécessité matérielle ou un choix ?
Au début c’était une nécessité. C’est quelque chose que j’aimerais vraiment pouvoir changer à l’avenir : aller vers un travail plus collectif. Quand j’ai fini Mariposario, c’était même ma première pensée, parce que je crois que si je fais un autre album comme ça, je vais finir par me répéter. Pour moi, ce sera vraiment un défi parce que j’ai encore du mal à envisager de travailler avec d’autres gens. Dans ma façon de faire, il y a beaucoup de contraintes et beaucoup de liberté aussi. Au fond, je suis un peu timide et j’ai souvent du mal à dire aux autres que ce qu’ils proposent ne me convient pas. Il faudra donc trouver un moyen de surmonter ces réticences naturelles pour trouver le bon équilibre entre timidité et tyrannie.
superbe album de IRMÃO VICTOR que j’ai acheté à sortie sur les conseil de thomas des ballades sonores ,je vous recommande de vous penché sur le cas de Gus Levy – Magia Magia (Disk Union/180G/2020) https://perseverancevinylique.wordpress.com/2020/12/09/gus-levy-%e2%80%8e-magia-magia-disk-union-180g-2020/