Index For Woking Musik : « Ce sont des bâtiments, des paysages ou des œuvres d’art qui nous influencent »

Index For Woking Musik / Photo : DR
Index For Woking Musik / Photo : DR

Index For Working Musik n’est pas du genre à opter pour la facilité et c’est tant mieux pour nous. Rarement un groupe a réussi à aussi bien trouver l’équilibre entre une musique expérimentale, cérébrale, et la pop. Même si le terme pop ne semble pas être le plus adapté au premier abord, le groupe n’oublie jamais d’écrire des chansons, quitte à les malmener par la suite. Mais Index For Working Musik est aussi un groupe de militants. Tous ont passé l’âge de se consacrer à la musique alors que cette dernière ne leur rapporte rien. On les sent pourtant habités par leur art, animés par une envie de perpétuer une tradition D.I.Y. qui sort de la norme, même si cela leur complique la vie. Dans cette interview, Max Oscarnold, Nathalia Bruno et Edgar Smith (trois cinquièmes du groupe) reviennent longuement sur la réalité d’être des artistes indépendants en 2025. De la difficulté d’organiser une tournée, aux problèmes techniques liés à une volonté de tout contrôler, ils semblent ne jamais vouloir baisser les bras, car ils croient en ce qu’ils créent et veulent le faire vivre. Ce n’est pas pour rien que leur nouvel album Which Direction Goes The Beam est un des plus fascinants de ce début d’année 2025.

Revenons sur la création du groupe. Si votre premier album est sorti en 2023, le projet a commencé en 2019.
Max : Nous avons commencé à jouer ensemble en 2020 pendant la pandémie, au moment où j’ai emménagé dans un sous-sol avec Nathalia. Dès que les restrictions ont commencé à se lever, des amis ont pu nous rendre visite et jouer avec nous.
Edgar : C’était un rêve devenu réalité. Nous pouvions laisser notre matériel chez Max le soir, revenir le lendemain et tout retrouver comme nous l’avions laissé. Max a, en plus, du super matériel pour enregistrer. Nous nous retrouvions très souvent pour jouer. C’était comme une grande famille. Initialement je jouais de la basse, mais je suis rapidement passé au violoncelle. Avant d’écrire des chansons, nous étions surtout intéressés par la réalisation de collages musicaux et la création de paysages sonores à partir de boucles.
Max : A cette époque, nous n’étions pas un groupe. Juste des amis qui prenaient du plaisir à jouer ensemble pour expérimenter. Nous étions coincés à la maison, nous n’avions rien d’autre à faire. Le premier album est sorti à la fin de la pandémie, après quelques années à avoir été enfermés ensemble.

Max, Nathalia, à quoi ressemblait Index for Working Musik quand vous n’étiez qu’un duo ?
Max : Ça n’a pas duré longtemps. Nous avons juste réussi à tirer une demi-heure de musique de nos expérimentations. Ces enregistrements sont vraiment étranges.
Nathalia : Nous les avons d’ailleurs publiés peu de temps après le premier album sous le nom d’Indexe’e.
Max : Indexe’e a posé les bases de ce que nous allions devenir par la suite.

A quel moment le groupe a-t-il commencé à prendre une autre direction ?
Nathalia : Je pense que c’est quand Stephen du label Tough Love a commencé à traîner régulièrement avec nous que nous sommes passés à une dimension supérieure. Non seulement il nous suggérait des idées, mais il nous a proposé de sortir un disque.
Edgar : Avoir tout ce temps devant nous a été bénéfique. C’est comme ça que nous avons pu nous éloigner des structures habituelles des chansons. Nous n’avions aucune pression.

Max, Nathalia, pourquoi avoir choisi de travailler avec musiciens avec lesquels tu as déjà eu des groupes par le passé (Toy, The Proper Ornaments) ?
Max : J’ai aussi joué de la guitare pour Edgar dans son groupe Niqab. Sans trop réfléchir, nous nous sommes retrouvés entre gens qui aimaient jouer ensemble depuis un bon moment.
Edgar : Je pense être devenu un joueur contractuel de double basse pour Max, tellement nous avons joué ensemble (rire).

Au début du groupe, votre principale façon de travailler était de dire que la première pensée était toujours la meilleure. Est-ce toujours le cas ?
Edgar : Je confirme, encore plus avec ce nouvel album. Et ça sonne encore mieux car les chansons ont été enregistrées dans un super studio. Le son est plus puissant et apporte plus d’impact à la musique alors que notre approche reste toujours aussi expérimentale. De façon générale, la production musicale reste trop évidente et approchable. Nous essayons de nous placer en réaction à ça.
Max : Je trouve que nous avons une bonne balance entre le côté pop et le côté expérimental. Tout simplement parce qu’il y a toujours une chanson derrière chaque titre. Généralement on trouve une structure et on ajoute des bribes pour essayer de créer quelque chose de nouveau, de différent. Tout est post moderne en musique, tout a déjà été fait. Nous faisons au mieux pour innover.
Nathalia : Notre originalité vient du fait que notre expression nous appartient. Personne ne pourra la reproduire comme nous.

Le groupe semble justement vouloir repousser les limites des groupes à guitare. L’approche du son est souvent recherchée. Sur papier, cela s’oppose à une approche spontanée. Retravaillez-vous beaucoup vos idées ?
Max : Nous avons énormément travaillé sur ce disque, c’était à la limite de la folie. C’est surtout lié à la partie technique. Nous avons enregistré des parties de basse, de guitare et de batterie dans un studio sur un enregistreur 8 pistes. Nous avons voulu enregistrer le reste (les voix, le violoncelle, etc.) sur un deuxième 8 pistes. Il a fallu trouver un moyen de relier les deux. J’ai trouvé du matériel des années 80 permettant de le faire, et c’est là que les problèmes ont commencé. N’ayant pas de producteur, nous avons dû apprendre comment bien faire sonner un album. Le mixage a été un cauchemar également.
Nathalia : Nous avons été très forts pour nous compliquer la tâche. Nous aurions dû faire appel à quelqu’un de l’extérieur pour nous aider.
Max : Le résultat aurait été pourri (rire).
Nathalia : C’est aussi grâce à tous ces freins que cet album a un son unique. Il a des qualités qui lui sont propres.
Edgar : Le problème, c’est que l’on trouvait les enregistrements d’origine vraiment bons. Nous avions vraiment peur de les dénaturer au mixage. Rien que pour cette raison, il est facile de devenir obsessionnel et de passer des heures sur le moindre détail.
Max : C’était notre choix de tout gérer nous-même. Seul le mastering a été confié à Mikey Young du groupe punk australien Total Control.

Index For Woking Musik / Photo : DR
Index For Woking Musik / Photo : DR

Votre album ne fait pas ressortir beaucoup d’influences évidentes. En êtes-vous conscients ?
Max : Nous avons écouté et enregistré tellement d’albums par le passé que nous ne cherchons plus à piquer des idées pour être créatifs. Chaque chanson que je compose part d’un sentiment plutôt que d’une idée structurelle. J’essaie juste de le transformer en musique. Peu importe le style de musique, sans ce feeling initial, je suis certain que l’on n’arrive pas à communiquer d’émotions. Je trouve que la désorientation est le sentiment qui ressort le plus de nos chansons. Ça paraît très sérieux annoncé de la sorte, mais c’est hyper fun à concrétiser. Nous fonçons sans trop réfléchir.
Edgar : J’irais même plus loin en disant que nos influences viennent plutôt de bâtiments, de paysages ou d’œuvres d’art. Londres, à travers le travail de Ian Sinclair sur la psycho-géographie est également une grosse inspiration. J’adore partir à la recherche des plus vieux bâtiments de Londres. Même si tu es complètement fauché, cette ville te permet d’accéder gratuitement à la culture. Certains musées sont, par exemple, gratuits toute l’année. J’ai fait partie de plusieurs groupes, et Index For Working Musik est sans hésiter celui dans lequel tout le monde cherche à repousser le plus de limites possibles. C’est une chance de pouvoir se reposer sur les autres, de leur faire confiance.

C’est l’album le plus varié que vous avez produit à ce jour. Quelle en est la raison ?
Max : Nous voulions créer un album plus énergique. Un album que l’on peut jouer en live. Il est également plus personnel dans le sens ou chaque idée doit venir de cinq personnes en même temps. C’était également plus facile, car cette fois nous savions que nous devions sortir un disque.
Edgar : C’était plus motivant car nous savions quelle direction emprunter. L’album précédent était plus une sorte de collage de bandes qui n’était pas censé être publié.
Max : La différence avec le précédent est surtout que nous avions des plans pour ce disque, des intentions. Ces intentions étaient boostées par notre mode de vie. Nous sommes pauvres, mais pourtant nous sommes habités et motivés par la création de quelque chose qui n’intéresse personne. Nous représentons une culture qui est en train de mourir et que nous essayons de maintenir à la surface pour pouvoir survivre, voir même exister en donnant des concerts. Je trouve que ça ressort sous la forme d’une colère punk dans l’album.
Edgar : C’est hyper frustrant de se sentir exclu d’une société qui ne fait rien pour les artistes à moins qu’ils renoncent à ce qu’ils sont pour pouvoir gagner leur vie avec ce que j’appelle l’argent pourri du business. Alors ils s’adaptent, ils calculent, ils acceptent de faire ce qu’on leur demande, et ils ne produisent plus vraiment de l’art. Ça me rend livide, personne ne devrait chercher à attirer l’attention de façon artificielle pour se faire remarquer. C’est devenu plus important que l’art en lui-même.

J’ai du mal à vous imaginer faire un copier-coller de l’album sur scène. Comment allez-vous le retranscrire en live ?
Max : Nous ne voulons surtout pas jouer les chansons à l’identique. L’idée est de garder une certaine liberté, d’improviser. Il faut que ça soit fun aussi bien pour le public que pour nous.
Edgar : De toute façon, certaines parties de l’album sont quasi impossibles à reproduire en live car elles ont été improvisées, ou bricolées avec des collages. Nous nous adapterons au public et à sa réaction.

Le chant oscille entre le détaché, le nonchalant ce qui apporte un côté sexy à une musique qui ne l’est pas.
Max : Je considère la voix comme un instrument des plus difficiles. Sa dynamique et son intention viennent directement de l’esprit. Si tu es un bon chanteur, tu peux vite devenir manipulateur ou frimeur. Nous essayons de rester dans la neutralité, de l’utiliser comme un instrument normal. Mais soyons honnête, nous ne sommes pas de bons chanteurs et nous n’avons aucune confiance en notre chant. Ce n’est pas naturel pour nous. Nous préférons être un peu en retrait et, de cette façon, les inviter à nous écouter. C’est pour ça que les paroles sont volontairement simples et engageantes. Nous ne voulons surtout pas faire de grandes déclarations. Nos plus grands modèles pour les textes sont des gens comme Nico ou Mark E Smith.
Edgar : Et c’est très bien comme ça. Autant je suis fan de Tom Jones, autant ce type de chant ne collerait pas du tout à Index For Working Musik.

L’évolution d’un titre comme Purple Born est incroyable. Il commence comme un titre country acoustique pour finir de façon épique toutes guitares électriques et violons à la John Cale dehors.
Max : Tout a été fait volontairement. Nous voulions des évolutions à la Beach Boys. C’est un titre un peu étrange avec des cordes qui sonnent comme de la musique russe. Ce titre nous a pris par surprise, même si nous avions dessiné le squelette de la chanson que nous voulions obtenir sur une feuille de papier.
Edgar : Nous l’avons enregistré en une prise dans un état d’euphorie.
Max : Edgar jouait du violoncelle et je tournais autour de lui pour créer du feedback (rire). C’était vraiment fun.

Pourquoi ajoutez-vous de courts passages instrumentaux sur vos albums ?
Max : parce que quand nous avons fini d’enregistrer nos morceaux, nous avons réalisé que nous avions pas mal de passages qui ne seraient jamais appréciés à leur juste valeur si on les ajoutait à une chanson ou si nous ajoutions du chant. Nous nous sommes samplés nous-même pour créer quelque chose de nouveau qui pouvait être mis en avant. J’aime beaucoup ces coupures instrumentales dans le disque.

Je sais que vous êtes en ce moment en pleine préparation de votre future tournée, comment se passent les répétitions ?
Max : Nous allons tourner pendant deux semaines au Royaume-Uni, ce qui se fait rare. C’est dommage car il y a un grand nombre de salles de qualité.
Edgar : Mais l’économie ne joue pas en notre faveur. C’est pour ça que les artistes tournent en solo ou en duo. Certains utilisent des boîtes à rythmes ou des laptops pour remplacer des musiciens.
Max : On est dans la réalité du post-Brexit. Nous devons juste imaginer que Manchester est Bruxelles et que Glasgow est Rome (rires).

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Which Direction Goes The Beam est disponible chez Tough Love Records. Ils joueront à Paris à La Mécanique Ondulatoire le 30/04 avec Diana Vaughan en première partie.

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