On ne peut parler de la scène musicale de Brest sans parler de la ville, qui est définitivement à part. Si les villages touristiques bien propres aux toits de chaume rasés de près vous filent irrémédiablement le bourdon, alors vous vous sentirez chez vous à Brest. C’est ce qui m’est arrivé, un gros crush définitif, difficilement explicable mais je vais essayer quand même.
Brest fut détruite à plus de 90% pendant la deuxième guerre mondiale et reconstruite très vite, dans un souci de modernité plutôt que de reconstruction à l’identique. Le béton et l’orthogonalité, les grands espaces où le vent s’engouffre, s’entrecroisent avec la rue Saint-Malo, le quartier du Merle Blanc, la place Guérin, restés dans leur jus, et les maisons aux couleurs vives de la rue Félix Le Dantec. Les rues montent et descendent – une nuit à Recouvrance, j’ai vu une voiture descendre la rue Vauban, traverser la rue de la Porte et remonter la rue d’en face dans une parodie insensée de Bullitt. Le paysage urbain dévale vers la mer, à la fois omniprésente et peu accessible puisque les abords sont en partie occupés par l’armée. Une mer qu’on porte imprimée en soi, dans ses veines, et qu’on découvre comme une grande claque quand on arrive par le pont d’Iroise.
Brest, c’est aussi le mariage du vent et la pluie, cette pluie qui se décline en bruine, en ondées, en averses, en rideaux – cependant une mise au point s’impose : il a fait beau chaque fois que j’y suis allée, une sorte de malédiction du soleil, donc, non, il ne pleut pas toujours ! Et entendre chanter le pont de Recouvrance par une nuit de grand vent est particulièrement jouissif. Enfin, une fois à Brest, on est au bout, on ne peut guère aller plus loin, à moins d’être un nageur émérite. Dernière étape, dernier refuge, c’est peut-être pour ça qu’on croise autant de personnages forts et atypiques. « … Une gare de fin de terre européenne, qui donne accès à toutes les choses n’ayant plus rien à voir avec la terre… », tu n’as pas tort, Pierre Mac Orlan.
Au milieu de la ville trône le Vauban, hôtel bar brasserie qui organise des concerts depuis des décennies et dans lequel les Brestois, toutes générations et origines sociales confondues, ont fait leurs armes. Dans le désordre, Tiersen, Miossec, Tino Rossi, Jane Birkin, Léo Ferré, Art Mengo, Dominique A, Philippe Katerine, Daniel Darc, Mass Hysteria, 113, Jeff Mills, Archie Shepp, Divine Comedy, Bérurier Noir, Herman Düne, Syd Matters, Carl Craig, Stéphane Eicher… et bien d’autres ont joué au Vauban. Mais plus qu’un bar, c’est un concentré vibrant de la ville. « C’est au Vauban que bat le coeur de Brest (…), un théâtre perpétuel, une ronde magnifique de tronches sans âge, d’amants terribles ou de visages amis, un kaléidoscope de fortunes de mer, fait d’impasses, d’accidents, de renaissance ou de naufrages. » in Le Vauban : un siècle d’histoire brestoise de Olivier Polard et Yan Le Gat.
Brest compte par ailleurs de solides ancrages musicaux avec une SMAC active, la Carène, qui s’étire comme un gros chat roux sur le port de commerce, un magasin de vinyles reconnu, estimé et très actif aussi, Bad Seeds Recordshop et des labels variés : Music from the Masses, initié par les gaziers de Bad Seeds, Astropolis Records, Steelwork Maschine, Offoron, l’Église de la petite Folie et le tout nouveau Cool Raoul…
Donc les conditions géographiques et sociologiques sont réunies pour donner une scène musicale des plus intéressantes. Je ne prétends absolument pas à l’exhaustivité en présentant ces quelques groupes, si la musique était affaire d’objectivité, ce serait bien ennuyeux (ce ne sont pas les dudes de Section26 qui vont critiquer la mauvaise foi pop moderne !). Et j’ai volontairement omis Yann Tiersen et Miossec, qu’on ne présente plus. Les catégories un peu foutraques, juste pour donner un aperçu et, peut-être, aiguiser la curiosité. Certains membres de ces groupes ne vivent plus à Brest, mais sont définitivement brestois. Et il y a certainement des oublis. Il y a toujours des oublis.
Les chouchous
Tout a commencé grâce à eux. J’ai découvert et aimé la pop aérienne de Djokovic par le label Beko, activiste brestois découvreur de pépites de 2009 à 2018. Je suis allée les voir à Paris, la première partie était assurée par Bantam Lyons, et je suis irrémédiablement tombée sous le charme d’une musique qui fait battre le coeur plus vite, à la fois puissante et retenue – autant dire que j’attends avec impatience leur prochain album qu’ils viennent de finir d’enregistrer. Et puis j’ai découvert le reste de la famille avec The Slow Sliders et leur nostalgie vaporeusement déglinguée et addictive. Ces trois groupes furent à l’affiche d’une soirée épique à Dijon il y a 2 ans, organisée par l’asso Sabotage et la SMAC La Vapeur, soirée qui s’appelait Ici c’est Brest, bien sûr.
Depuis, Victor, le chanteur des Slow Sliders, a initié un nouveau projet flamboyant, Lesneu, tandis qu’un membre de Djokovic et de Baston viennent de lancer Traumstatdt, certifié kraut psyché et hypnotique.
Dans la famille chouchou, il ne faut pas oublier Baston et leur rock sec et survitaminé. Quand je dis la famille, c’est à peine une image puisque tous jouent dans au moins deux des groupes chouchous. Et tous sont excellents musiciens, pop mais pas popeux, rock mais pas couillus, immergés dans la musique depuis tout petits, alliant décontraction et passion. « En gros, je passe la moitié de l’année à vendre du poisson et à bader en face de clients qui te prennent pour de la merde parce que tu bosses dans un supermarché. Donc c’est le moment cool / évasion de faire de la musique, c’est devenu plus que naturel ou vital », me disait l’un d’entre eux.
Listorama
Post punk garage riot
Litovsk, une plongée dans la culture brestoise.
Syndrome 81, l’un des groupes punk/post punk les plus connus avec Litovsk.
Mnemotechnic, trio post-rock/punk/hardcore/noise.
Le Mamøøth, garage efficace.
HHM, les brestoises sont pas en reste.
Avenir, punkettes bien déjantées comme il faut.
Électrocoldexpé
Dale Cooper Quartet, doom dark ambient noise electronic jazz.
Maman Kusters, un peu les enfants de DAF.
Poing, veine expé et électro.
Egoprisme, cold/dark/new/wave.
Eye, « A breeze and a blast at the same time ».
Bicolore, enregistré à Brest avec des enfants.
Pop not dead
Eleven Summers, Wild Nothing meets Ariel Pink.
Hello Paris, Brestois exilé mélancoliquement pop.
Helse, dream pop lumineuse.
Rapid Douglas, électro pop lo-fi.
Carrière Solo, chillwave addictive.
Ça plane pour eux
Chambre, Canada Effervescent et Recou Futur, ambient, planant qui fait joliment décoller.
Julien Boulier, influences classiques et cinématographiques.
Chapi Chapo et les petites musiques de pluie, la pluie comme on l’aime.
Sortis des radars mais c’était bien cool
I come from Pop
Prismo Perfect
Bientôt sous les radars
Tunnels, pop mutante.
Les Amirales, pop orchestrale.
David Crozon, pop brestoise.
Les Bretons chantent aussi en français
Festin, savant mélange de rock, slow core, de folk, d’ambiances de films noirs et de chanson française.
Sara Fuego, chill baby.
Arnaud Le Gouefflec, figure brestoise, romancier, scénariste BD et tête du Festival Invisible et du label L’Eglise de la Petite Folie.
Et la cerise sur le gâteau (ou le beurre salé dans le kouign amann)
La mixtape récemment sortie, soit un concentré brestois 100% jouissif « Cette cassette n’est pas une cartographie de la scène brestoise, mais la touz de la bande des boyz ». Ok les boyz, on vous aime.
Last but not least, Bad Seeds nous parle.
Impossible de faire un article sur la musique à Brest sans interviewer les gaziers du magasin de vinyles Bad Seeds et du label Music From The Masses, activistes défricheurs infatigables. Christophe étant absent, c’est Reno qui s’y colle.
Le label était-il une évidence après l’ouverture du magasin ?
Depuis 1995, nous avons toujours eu des labels. Que ce soit Spacepills Shiny Convention, un label K7 qui mettait en avant les artistes locaux fin 90′, le virage Diesel Combustible Records / Sel début 2000, avec une tendance plus kraut, ambiant (avec des groupes comme Tank, Osaka et Kobe) et fin 2000, Beko DSL / Beko Disques un label digital puis physique qui faisait la belle part à la pop music. Une chose était sûre, en ouvrant Bad Seeds, nous voulions continuer l’aventure label, et c’est chose faite avec Music From The Masses. Un label essentiellement consacré aux graines locales. Vu le vivier de talents dans notre belle région brestoise, c’était une évidence.
Tu peux nous parler des sorties du label… et bien sûr de celles qui sont prévues ?
Notre première sortie a été le EP Lovin’ de Lesneu. Victor est le chanteur des Slow Sliders. Apres un EP super bien accueilli sur Beko, et à l’écoute des premières démos, nous n’avions aucun doute quant au fait que le EP plaise à un plus grand nombre. Sa voix, ample, puissante, particulièrement attachante, bouleverse les canons habituellement plus rachitiques de la pop indépendante pour donner à ces morceaux ce grain si particulier et unique. A sa façon, tel un véritable crooner pop, Lesneu réhabilite ce genre désuet qu’est le slow, celui des boums de notre adolescence, des filles que l’on n’ose pas inviter et des malentendus perpétuels. Aujourd’hui le vinyle est épuisé. Nous préparons la suite, l’album devrait sortir en février 2020… En attendant, Lesneu poursuit sa tournée au coté de Miossec, et jouera aux Transmusicales cet hiver.
Parmi les autres groupes : Festin. C’est peut être pour se rapprocher d’une Amérique dont les groupes chéris hantent leur univers que ces nordistes ont migré vers la pointe de la Bretagne, quittant un univers de briques et de gueules noires pour la ville aux trottoirs trempés. Car si par moment c’est plus aux Limiñanas que fait penser cette complicité batterie / guitare où de furieuses décharges électriques répondent au tom basse martelé à l’envie, c’est surtout aux grandes et belles heure du slowcore US que Festin nous renvoie, conviant à ses chevauchées arides, ses danses grises et humides, Come, Rex, Directions, ou Gastr Del Sol…
Ou encore Tropique Noir (Brest / Rennes) : avec ses textes en français, d’une voix grave et profonde, entre lassitude et révolte, les jeunes garçons modernes (avec des membres de Mermonte, Bantam Lyons et La Houle) ré-ouvrent la brèche de deux classiques du genre (La Notte de Etienne Daho et Seppuku de Taxi Girl) pour y bâtir ses chevauchées épiques à coups de mélodies pop lumineuses. Guitares étincelantes, basse new wave, rythmiques tendues (à la Little Nemo, Asylum Party), leur pop, plus noire que tropicale !
Et aussi Maman Küsters : le duo qui remet Brest dans la course à l’EBM nous a présenté sa règle des 3D : Dada, Daho et DAF. Un étonnant album qui fait suite à la sortie du CD sur Unknown Pleasures.
Dale Cooper Quartet : on songe à The Mount Fuji Doomjazz Corporation, à Bohren und der Club of Gore, David Sylvian et à tout ce courant dark jazz / ambient jazz qui explore les versants les plus sombres de la musique expérimentale. DCQ est l’anti-pop ; un soleil noir cerné de brouillard.
Helse semble développer ses compositions sans les formater aux standards du moment. Telles des brumes s’élevant sur un rivage lointain, les trames mélodiques et rythmiques de ce duo devenu quatuor se développent lentement, délicatement éclairées par la voix lumineuse et singulière de sa chanteuse. Un climat doux, apaisant et éthéré, et une aisance mélodique indéniable.
Nous travaillons sur d’autres sorties, mais on en parlera en temps voulu…
NDLR : Mot de la fin à un ami brestois qui me disait récemment, en parlant du Vauban : « En vrai, ça se vit sur la longueur. Il y a des soirées vides de sens avant d’en connaître une ou deux qui te feront dire : Putain, c’est beau Brest ».
Merci à mes Brestois sûrs aka Reno et Christophe Bad Seeds, Yannick La Carène et Loïc Bantam pour avoir été une aide précieuse lors de la rédaction de cet article.
bonjour.. 🙂
article bien référencé renvoyant sur de chouettes liens
Maman Küsters étant pour moi une très belle découverte… très très bon album sortie chez Unknown Pleasures Records (et non Unknown Pleasures ), non surligné en rouge.. et ça c’est dommage.. car leur catalogue bandcamp est vraiment excellent… https://hivmusic1.bandcamp.com/
Cordialement SilviO..