En 2002, si depuis deux ou trois ans le UK Garage (genre né au milieu des 90s comme une réinterprétion toute britannique de la Garage House américaine y injectant influences RnB et Jungle) est en train de vivre son climax plaçant dans les charts locaux des tubes, parfois issus de l’underground, comme ceux de The Streets, Craig David, Daniel Bedingfield, Wookie, Zed Bias ou MJ Cole, cela commence à sentir le sapin car comme toujours la récupération commerciale guette. Lassés de cette marchandisation, de nombreux producteurs continuent d’œuvrer en souterrain et le genre mute vers des territoires plus sombres et expérimentaux, deux courants essentiels de la musique contemporaine vont en naître : le Grime et le Dubstep.
Pour le premier, tout explose en 2002, avec deux morceaux qui vont en particulier poser les fondations du genre, d’une part I Luv U du jeune Dizzee Rascal, un dj et mc d’East London d’à peine 17 ans formé à l’école des radios pirates qui compose ses beats sur Playstation, de l’autre Pulse X de Musical Mob (Youngstar), un instrumental rugueux et expérimental. L’emballement est immédiat, l’année suivante Dizzee sort son premier album Boy In Da Corner signé sur l’immense XL Records (The White Stripes, Adele, Prodigy…) et rafle dans la foulée le prestigieux Mercury Prize. Londres est immédiatement pris d’assaut par cette musique, tous les MCs du UKG s’y mettront ou presque parmi lesquels Lethal Bizzle (More Fire Crew) et bien sûr l’unique Wiley (Pay As You Go) qui formera le groupe le plus important du genre, le Roll Deep avec Dizzee, Skepta ou le DJ Slimzee, cofondateur de Rinse FM (et par la suite sa petite soeur française) dont le rôle, comme beaucoup d’autres radios pirates, sera essentiel dans l’émergence de ce mouvement.
Pour le Dubstep, la transition est moins évidente, cela fait quelques temps que des producteurs UKG très influencés par la Jungle et la culture des sound-systems caribéens comme EL-B, Steve Gurley, Groove Chronicles ou Zed Bias proposent des vision plus sombres et dub aux basses sourdes et omniprésentes de cette musique. Il y a pourtant un virage qui s’amorce la même année, la sortie du premier album de Horsepower Productions (In Fine Style) pour lequel sera utilisé la première fois le terme, mais dès 2000 à South London, autour de la boutique Big Apple et des labels Tempa, Soulja ou ShelfLife, le genre commencera à prendre ses marques.
Pendant très longtemps, la distinction entre les deux genres fut compliquée, en attestent les compilations intitulées Grime sorties sur le label Rephlex d’Aphex Twin (2005) qui contiennent essentiellement ce qu’on appellerait aujourd’hui Dubstep, d’autant qu’au début, de nombreux termes cohabitèrent en même temps, chaque artiste y allant de sa propre marque. Le 8 Bar, le Sublow de Jon E-Cash ou encore l’Eskibeat de Wiley, une oreille peu entrainée aura d’ailleurs du mal à les identifier car ils partagent beaucoup d’éléments communs comme le tempo (généralement entre 135 et 140 bpm) et des basses sales omniprésentes. On pourra simplifier en disant que le grime est d’abord une musique d’East London (Bow, Hackney…) caractérisés par des morceaux courts, très énergiques généralement à destination des MCs, le Dubstep est essentiellement instrumental, vient plutôt de South London (Croydon, Brixton, Peckham…) et propose une musique plus cotonneuse dont la caisse claire est presque toujours placée sur le 3e temps. Bien que les genres se soient à peu près fixés vers 2005-2006, les passerelles n’ont jamais cessé de se dresser. Le Grime, empêtré dans des problèmes récurrents de violence (Dizzee poignardé à Ayia Napa, Crazy Titch condamné pour meurtre) deviendra vite persona non grata dans les clubs de la ville (« No hats, no hoods ») et déclinera rapidement coupant ainsi les ressources des artistes obligés de se reconvertir, rarement pour le meilleur. En raison de son exportation américaine, de l’altération de son identité par l’EDM, désormais ironiquement appelé « brostep » par les puristes pour sa propension à attirer les frat-kids gavés au molly dans les grands festivals US, le Dubstep lui aussi faiblira malgré une extraordinaire phase au milieu débuts des années 2010s qui verra débarquer des artistes dont on entendra parler jusque dans la presse musicale française comme James Blake, Mount Kimbie ou une tendance techno plutôt réjouissante.
Evidemment, bien que ces genres subsistent toujours, ils ne sont plus aujourd’hui au firmament de leur gloire, malgré la récente intronisation de Stormzy en couverture de Time Magazine, star de la seconde vague Grime, car celle-ci est peu à peu remplacée par le nouveau son de la jeunesse Britannique : la UK Drill. En revanche, près de vingt ans après leurs apparitions, ces genres sont restés deux des phénomènes les plus excitants de la musique électronique de ces vingt dernières années, et leurs influences sur la pop anglaise et mondiale demeure durable. Il était donc temps de leur consacrer une petite mixtape rétrospective.
I Like 2 Stay Home #21 : UK Garage, Grime & Dubstep (2000 – 2020)
Un mix thématique par jour à écouter en temps de confinement.