Pour une formation aussi habituée à la transmutation, la réapparition de Micachu & The Shapes sous le nom de Good Sad Happy Bad (entamée dès 2016 pour ceux qui suivent) donne presque l’impression d’une évolution naturelle. Ayant toujours préféré faire valdinguer son centre de gravité, passant tout naturellement de projet semi-solo électronique maniaque à organisme punk flou à trois têtes, le groupe formé par Mica Levi, Raisa Khan et Marc Pell n’a fait que dériver tête baissée vers l’incertain et le vaporeux au fil des années (avec quelques merveilles en chemin, comme ce Never en 2012, niché haut dans notre top décennal). Et ce retour inattendu derrière un patronyme chipé au titre de leur dernier album sorti en 2015 (et avec une personne de plus dans l’équipe, CJ Calderwood au saxophone) est donc l’occasion rêvée pour eux d’être autre chose, ailleurs, différemment, encore une fois.
Le résultat, c’est Shades, un cinquième chapitre façon retour à la case départ, qui s’attèle à une sorte de processus jovial de démolition de vieux plans indés, afin d’en faire des fantômes boiteux, étranges et insidieusement irrésistibles. Empilement d’influences passées à la machine à laver, l’album vient s’échouer à la croisée de tas de chemins, né d’improvisations retapées : post-punk revêche aux cuivres fous qui couinent, shoegaze rachitique noyé dans le chorus, jangle pop sucrée qu’on aurait enregistrée sur des cassettes fondues. Un tas de ruines réarrangé en terrain de jeu rachitique, aux fondations branlantes, où les morceaux ont des allures d’esquisses mais l’attitude de pop songs évidentes si votre oreille sait s’y nicher – comme sur le morceau-titre, petite douceur de deux accords carbonisée par un magma lointain de textures dissonantes et instables.
Passée au chant lead, la place centrale prise par la claviériste Raisa Khan colle parfaitement à cette évolution, offrant par son timbre tranquille une douceur aux échos 80’s sur des mélodies parfois étonnement légères, précieuses petites fulgurances pop (l’adorable Honey, ou Bubble et son refrain rêveur). Ce qui n’empêche pas le groupe d’aller chercher les décibels sur quelques explosions noisy aux riffs acérés et aux batteries nerveuses (This Skin ou Taking) ou de pures sottises punks qui donnent envie de gueuler devant sa stéréo, comme cet excellent Pyro, tellement débile et fun qu’on peut carrément entendre le groupe se marrer en l’enregistrant. Et c’est peut-être cet enthousiasme qui rend Shades si attachant et entêtant. Le portrait d’un groupe sans attaches ni objectifs clairs, désintéressé au possible de l’époque, refusant de trancher entre ses humeurs jusque dans son propre nom, ayant envie de tout sans être rien, simplement heureux d’exister hors du monde, dans une petite bulle faite d’amour et de pur capharnaüm.