« Choses, choses, choses, qui en disent long quand elles disent autre chose. » Cette citation d’Henri Michaux résume avec poésie Good Pop, Bad Pop, le très joli livre de Jarvis Cocker, récit autobiographique qui s’appuie sur les objets conservés depuis l’enfance, d’un vieux paquet de chewing-gum à sa lettre d’acceptation à la Saint Martin’s School of Design lorsqu’il a 25 ans, bien avant le succès. Jarvis trie ses « cochoncetés » en compagnie du lecteur, à qui il s’adresse pour savoir s’il doit jeter ou garder ce vieil emballage de savon Imperial Leather ou une réplique en carton du sac à main de Margaret Thatcher, acheté dans un HMV en 1979.Les « petits riens », comme un patch du Casino de Wigan, servent donc à raconter l’Angleterre des années 70, celle d’un garçon maigrichon de Sheffield élevé avec amour et humour par sa mère, ses grands-parents et ses tantes après le départ du père, celle des pulls en synthétique, du Marmite, du football et de Top of the Pops.
Lorsque Jarvis évoque les Star Jumpers (pulls à étoiles en acrylique portés avec pantalons Birmingham aux jambes extra-larges) c’est pour mieux raconter l’impact de The Fall sur l’adolescent, fan de musique mais rebuté par l’uniforme punk de l’époque, qui le fait se sentir « différent » à un concert des Stranglers alors qu’il pensait avoir trouvé des gens comme lui. Il est évidemment question de musique, et à travers la première guitare offerte par le petit ami de sa mère, les vieux billets de train (pour aller donner une cassette à John Peel, Jarvis a alors 17 ans), les posters fait maison, et surtout les vieux cahiers de classe, c’est la genèse de Pulp qu’il nous raconte également, pour notre plus grand plaisir. Le Master Plan inclut notamment les premiers logos dessinés en classe sur du papier millimétré, ainsi que l’uniforme que devront porter les fans du groupe, de seconde main bien entendu.
Publié en mai dernier, Good Pop, Bad Pop était accompagné d’une exposition réunissant les objets photographiés dans une galerie londonienne, sur un principe similaire à Stranger Than Kindness (créée à Copenhague, actuellement visible à Montréal), qui permet au visiteur de (re)découvrir Nick Cave en se promenant, entre autres, dans son salon et sa bibliothèque. Mais là où Nick Cave montre le Chewing-Gum de Nina Simone, à qui Warren Ellis a depuis consacré un livre, Jarvis reste délibérément dans la pacotille et l’anodin, ce qui confère à Good Pop, Bad Pop une émotion et une universalité inattendues pour un ouvrage aussi intime. Sans surprise, la plume de Jarvis est légère et affutée, mais il est fort agréable que malgré cet étalage de l’intime, il parvienne à ne pas tomber dans la caricature de lui-même, préférant faire de son cabinet de curiosités un panégyrique de l’imagination et de la débrouillardise.
Si je reste vague, c’est pour ne pas gâcher le plaisir de la découverte de cette caverne de petits trésors en plastiques et d’anecdotes savoureuses, qui ravira ceux et celles qui s’entêtent à chercher le poétique et l’extraordinaire dans le moche, le banal et le quotidien, aux collectionneurs de billets en tous genre et de gadgets en plastique, aux nostalgiques de la Carte Orange… Les objets communs des gens communs.
je vous recommande son docu sur l’art brut https://perseverancevinylique.wordpress.com/2022/12/15/mon-top-2022-en-81-disques-de-coeur-de-mr-perseverance-diversite-et-pluralite-et-eclectisme-et-culture-musicale-perenne/