J’ai croisé Ben Schwab pour la première fois en mai 2019, sur la terrasse du Point Ephémère à Paris. Drugdealer, pour qui il donnait de la voix et de la guitare, venait avec sa bande d’achever un moment inoubliable. Alors que je tombais sur lui à la sortie de la salle, je ne manquais pas de le féliciter pour ce qui était déjà (et est resté) pour moi le plus beau concert de l’année. Puis, craignant une suspicion de fayotage, je glissais un compliment impassible sur un autre de ses accomplissements : Golden Daze, son projet partagé avec Jacob Loeb, et Simpatico qui, sorti à peine trois mois plus tôt, tournait en boucle dans mes oreilles et dans ma tête. C’est en pleine pandémie, à plus de 9 000 kilomètres de distance, que nous avons eu l’occasion de poursuivre cette discussion maladroitement entamée un an plus tôt. Le prétexte ? La publication des premiers enregistrements de Simpatico (réunis sous le simple titre de Simpatico Demos), ou l’occasion de redécouvrir un album resté trop confidentiel.
« On a simplement pensé que ce serait une sortie sympa et légère, qui offrirait aussi un éclairage sur notre processus de création. Dans certains cas, on préfère les versions démos aux versions album. On a aussi ajouté à cet album des inédits ; des titres sur lesquels on a beaucoup travaillé et qu’on avait envie d’exposer à la lumière du jour. » Une envie florissante, cet été, au sein de la scène indépendante : fin août, Angel Olsen dévoilait Whole New Mess, un album mêlant démos de All Mirrors (2019) et inédits. Le même jour, Mac DeMarco nous rappelait lui aussi au souvenir son dernier album avec Here Comes The Cowboy Demos. Alors que les artistes se retrouvent dans l’incapacité d’incarner leur musique sur scène, c’est comme si ces versions plus brutes et plus intimes de leurs chansons leur permettaient d’instaurer un autre lien avec leur public. Pour ce dernier, c’est une manière de prolonger le plaisir, de faire vivre ces albums un peu plus longtemps.
Simpatico Demos se distingue assez de son album-parent pour incarner une œuvre à part entière. Dans les arrangements, la production et l’agencement des titres. Ne reste que l’essence de l’œuvre : une finesse mélodique digne de l’Atlas de Real Estate [comme déjà mentionné ici], des enchevêtrements de guitares et des harmonies venues du ciel. C’est bien dans Simpatico que ces qualités se font les plus évidentes, dans ce virage pop entrepris l’an dernier après un premier album plus psychédélique, et moins singulier (Golden Daze, 2016) : « Notre premier album était dicté par l’expérimentation. Il y avait beaucoup d’ambition mais un certain manque de direction et de confiance en notre musique, confiance que l’on a trouvée quelque part entre nos deux disques. Simpatico est beaucoup plus personnel et fidèle à la manière dont nous avions commencé à composer ensemble. »
Ben et Jacob, tous deux originaires du Midwest (respectivement de l’Ohio et de Chicago, Illinois), se sont rencontrés à l’université, à Los Angeles. « On aimait les mêmes choses en termes d’art et de musique. On a commencé à beaucoup jouer ensemble et petit à petit, c’est devenu Golden Daze. ». Les deux amis n’ont plus jamais quitté la Californie, qu’ils avaient en premier lieu rejointe pour leurs études : « On s’y est construit une vraie communauté d’amis et d’artistes, et il nous a semblé naturel d’y rester et de cultiver notre musique ici. Los Angeles a mauvaise réputation mais elle compte tellement de gens authentiques et merveilleux ». Parmi ces rencontres artistiques, l’une d’elles fut déterminante : celle avec Justin Gage, fondateur du label Autumn Tone Records : « Il nous a beaucoup soutenus dès le début, et aidé de bien des manières. Justin a un blog génial intitulé Aquarium Drunkard [vraiment génial]. Il est une figure très importante de la scène musicale indépendante de Los Angeles ».
A la manière de Drugdealer, l’autre projet dont Ben fait partie, le duo aime s’entourer de copains. La première étape de l’écriture de Simpatico s’est faite à deux : « On a d’abord joué et développé la plupart des parties instrumentales », raconte Ben. Ensuite, c’est en bande qu’ils ont approfondi les arrangements : « John Schwab, mon frère, à la batterie ; Lionel Williams aka Vinyl Williams à la basse ; Dan Bruinooge au clavier ; Rutger Van Woudenberg sur certaines guitares électriques et aux samples ; et d’autres amis qui chantent et contribuent ici et là ». Parmi ces amis, l’ensorcelante Samira Winter (aka Winter), dont la voix céleste double le refrain de « Flowers ». Enfin, Ben tient à ajouter : « Vinyl Williams a aussi coproduit l’album avec nous. Il est très talentueux, c’est le moins que l’on puisse dire [la chronique de son dernier album est à lire ici]. Jarvis Tavienere est un excellent ingénieur du son, et a lui aussi beaucoup apporté à l’album en post-production ».
Les sensibilités musicales du duo procèdent d’une fondation commune : « On adore tous les deux la musique folk ; on vient de cette tradition ». Ils citent Bob Dylan, bien sûr, Elliott Smith ou Lindsay Buckingham [Fleetwood Mac] comme icônes, mais tiennent toutefois à varier leurs inspirations : « On fait de notre mieux pour se pousser vers d’autres directions. Et puis on est tout de même assez différents pour se surprendre l’un l’autre. Il y a des genres musicaux dans lesquels l’un va moins s’aventurer que l’autre mais au final, toutes nos influences sont prises en compte et incorporées dans notre musique », précise Ben.
Reste que l’influence du folk est prégnante, au point que certains internautes soupçonnent une connexion secrète entre les garçons et Robert Lester Folsom, ce chanteur et compositeur redécouvert par le public en 2010 à la sortie de la réédition de Music and Dreams, son chef d’œuvre de 1978. Ben confirme les bruits : « Robert Lester Folsom est une énorme influence et on a beaucoup de gratitude et de respect envers son travail. En fait, on l’a contacté avant Simpatico et on lui a parlé de sa chanson See You Later, I’m Gone. Il a été très gentil et causant sur son histoire et la manière dont il l’a enregistrée. Blue Bell est très fortement inspirée par cette chanson. C’est une sorte de clin d’œil à lui. »
Fortement marqués par les différentes crises qui ne cessent de secouer les Etats-Unis cette année, les deux musiciens déclarent travailler « lentement mais sûrement » sur un troisième album : « Nous consacrer à la composition est moins naturel que d’habitude. Dernièrement, notre attention s’est portée sur l’extérieur, sur des problèmes qui nous semblent plus important à régler. Il s’est passé des choses vraiment dingues et il nous semble juste de prendre du temps pour les absorber, réfléchir, écouter et penser de manière critique ».