Glass Beach, The First Glass Beach Record (autoproduit)

Pochette de The First Glass Beach AlbumFace à la virtuosité d’artistes en plein étalage de leurs facultés, deux réactions peuvent sauter à la gorge : une viscérale crispation, trouvant son origine dans une sorte de mépris vaguement jaloux face à tant d’esbroufe mains-dans-les-poches, ou une bien plus sereine envie d’ouvrir grand les tympans pour ne rien louper de ce perpétuel bouquet final. La frontière est mince entre l’une et l’autre, tenant bien souvent à des pas-grand-chose, des attitudes imperceptibles, des jugements sans doute superficiels. Et c’est ainsi qu’à l’opposé d’autres projets pompiers et agaçants avec lesquels ils partagent pourtant la passion des grandes fresques indie-rock épiques et doucement indulgentes (Car Seat Headrest, entre autres), les américains de Glass Beach restent profondément attachants malgré leur tendance maladive à vouloir être trente groupes à la fois.

C’est comme si les morceaux sortaient comme ça, d’un coup, en blocs de 7 minutes, sans que ce soit de leur faute ou que ça ait pu se faire autrement. Ces mélanges improbables entre mélodies emo sous autotune, passages instrumentaux quasi-prog, suite d’accords pléthoriques et sirupeuses façon génériques d’anime (on pense parfois à l’anglais Bo En), refrains typés à la Elephant Six, gros breaks punk bourrins, ils ont l’air de venir naturellement, sans chercher la petite bête ni faire les fiers. Parce que c’est de la musique faite par des personnes qui aiment trop de choses, et qu’ils auraient regretté ne pas foutre tout cet amour dans ce premier album démesuré, forcément démesuré, comme le sont les premiers disques qu’on peaufine pendant des années dans des chambres solitaires jusqu’à ce qu’ils deviennent des montagnes intimes improbables, qui ne passent même plus par le cadre de la porte et sont obligées de défoncer la toiture.

Glass Beach
Glass Beach

On pourrait s’infliger le pensum de lister toutes les influences qui irriguent les 59 minutes et 15 morceaux de ce disque construit évidemment par des enfants de l’internet, mais au de-zoom, ces fondations hétérogènes disparaissent derrière le talent très personnel de Glass Beach pour la narration pop, qui court d’un bout à l’autre de l’album. C’est l’écriture façon montagne russe mais pourtant très maitrisée qui impressionne, défonçant les cloisons entre les genres et capable avec un naturel désarmant de nous emporter, dès le premier morceau, d’une ballade romantique au piano sonnant comme une B.O. d’un Disney avec trompettes qui harmonisent jusqu’à un final façon Electric Light Orchestra chez les punks. L’expansif Bedroom Community est à ce titre un petit miracle, diffractant une mélodie irrésistible en des tas de possibles, évoluant au gré des grooves, arpentant les harmonies, se perdant même dans un break jazz-rock improbable entre deux explosions power pop de « lalalala » collectifs entêtants.

Et même le très court Cold Weather (hymne adolescent parfait, deux minutes au compteur) ne peut s’empêcher de faire bifurquer ses envolées pop-punk-des-années-2000 en essayant d’autres rythmes et d’autres accords, incapable de tenir en place. Dans ces moments là, les morceaux de Glass Beach sont comme des pop stars qui changeraient de tenue de scène toutes les trente secondes, tout en gardant crânement leurs gueules d’anges et un grand sourire pétillant. Mais le groupe sait aussi mettre quelque respirations dans son songwriting hyperactif avec de très belles pauses psychédéliques telles que le lumineux Calico (où des guitares pleines d’harmoniques sont traversées par une voix tombante sous vocoder) ou encore Dallas, qui s’étire en longueur sous un tumultueux magma d’arpèges avant d’atteindre un étonnant climax electronica.

Imparfait, The First Glass Beach Record l’est évidemment. Dans son dernier tiers, certains titres plus faibles rallongent parfois inutilement l’expérience (malgré la présence du délicieux bonbon pop Yoshi’s Island) et les nombreux interludes instrumentaux semblent parfois ralentir la locomotive de tubes qu’aligne pourtant le groupe. Mais c’est aussi ces excès et ces maladresses qui rendent cet album si personnel. Parce que ça vient des tripes en ligne directe. C’est crié à plein poumon. Ça parle de filles seules, d’idées noires et de chats perdus. C’est un petit univers familier où la musique sauve des vies, dans lequel on se sent bien.

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