On avait déjà évoqué en ces pages – virtuelles, certes, mais pages tout de même – le talent d’Anne-Lise Frøkedal à l’occasion de la publication de l’avant-dernier album d’I Was A King – Slow Century (2019) – l’un des groupes auxquels elle continue de contribuer tout en construisant depuis 2016 un parcours plus personnel. Troisième étape de cette carrière solo, Flora confirme les dons singuliers d’auteur et d’interprète de la Norvégienne. Les poncifs de l’écriture pop associent fréquemment les femmes qui chantent – a fortiori, quand elles évoquent des images naturalistes, comme c’est souvent le cas sur Flora, et en particulier sur Set Your Spirit Free, jolie protest-popsong aux échos écolos – à des figures imaginaires confortablement balisées : les fées des bois souvent, les sorcières parfois.
De l’évanescence ou de la magie illicite de femmes : peut-être l’étrangeté est-elle plus rassurante lorsqu’elle est réduite aux stéréotypes d’une mythologie cloisonnée ? Pourtant, l’incarnation qui se déploie tout au long de Flora se révèle universellement humaine. Elle déborde de toute part les cloisons des genres – et pas seulement musicaux. Elle semble refuser obstinément de se cantonner au seul registre du folk mélancolique, le plus communément associé aux figures tutélaires féminines et dans lequel Frøkedal excelle pourtant, comme en témoigne Window – pour s’aventurer sur des terres moins balisées. Celles du blues électrique de Treasure, par exemple. Et bien d’autres encore.
Il y a certes du mystère dans ces nouvelles compositions d’Anne-Lise Frøkedal. Quelque chose d’un peu flou, un halo. Comme les traces résiduelles d’hésitations entre des formes musicales plurielles, des potentialités différentes qui voudraient continuer d’exister le plus longtemps possible dans le même album et, parfois, la même chanson : les mélodies qui se déploient de manière parfois tortueuse, souvent très étonnante – il suffit d’écouter Dark Woods ou Takedown pour s’en convaincre ; une voix souvent doublée qui oscille entre des registres contrastés – entre la fragilité aigue de Vashti Bunyan et le mezzo robuste de Stevie Nicks ; les guitares tremblantes des Cocteau Twins qui côtoient un violon folk au début de SØN ou sur le refrain de Lonely Robot ou bien encore les pulsations d’un orgue électrique qui cherchent à cohabiter en toute harmonie avec les arpèges acoustiques d’une guitare en bois. Au milieu des incertitudes, on entend quelque chose de très beau qui vacille, comme des lueurs chancelantes. Non pas celles qui précèdent l’extinction et l’obscurité mais, au contraire, celles qui accompagnent parfois les premiers instants avant l’illumination.