Fontaines D.C. : « Nous n’avons plus besoin de nous freiner »

Conor Deegan III (Fontaines D.C.) / Photo : Alain Bibal
Conor Deegan III (Fontaines D.C.) / Photo : Alain Bibal

Avec Romance, leur quatrième album, Fontaines D.C. risque de passer du statut de formation importante à celui de groupe qui va marquer son époque. Plus varié musicalement, avec un son énorme et surtout moins monotone, on sent une ambition à la fois liée à l’envie de ne pas s’endormir sur ses lauriers et à une volonté de passer au stade supérieur. En plus de leurs talents d’écriture, ils se sont donnés les moyens d’y parvenir en changeant de label (exit Partisan, bonjour XL), en abandonnant leur producteur historique pour James Ford (Depeche Mode, Arctic Monkeys, etc) et en changeant de look. Le pari est réussi car le groupe garde une identité très forte et, malgré des titres plus pop, rien ne sent le calcul. Cela se confirme lors de notre rencontre avec Conor Deegan III dans les locaux de sa maison de disques. Disponible, réfléchi et même amical une fois l’interview terminée, il nous raconte la genèse de ce nouvel album qui semble les avoir libérés du poids d’une routine qui aurait pu s’installer.

Saviez-vous si vous alliez enregistrer un autre album une fois la promo de Stinky Fia terminée ?
La période de fin d’enregistrement de Stinky Fia était étrange. Nous avons dû attendre un an avant de le sortir à cause de la COVID. Nous nous tournions les pouces alors que nous avions un album dont nous étions fiers qui dormait dans les bureaux du label. Heureusement, nous avons recommencé à tourner en 2022, ça nous a fait un bien fou. Favourite a été composé pendant les premières répétitions pour ces concerts. C’était rassurant de savoir que nous étions encore capables d’écrire une bonne chanson et que le meilleur de notre carrière n’était pas derrière nous. Voilà pourquoi nous sommes encore là aujourd’hui.

Musicalement Stinky Fia était un album plus cohérent dans son ensemble que A Hero’s Death. Vous revenez à plus de diversité avec Romance. Quelle en est la raison ?
Nous avions beaucoup expérimenté sur A Hero’s Death. Nous voulions voir ce que nous pouvions en faire maintenant que tout cela était digéré et que notre son était plus solide. D’où la cohérence de Stinky Fia. Pour Romance nous avons composé chacun de notre côté, avec l’objectif de voir comment il était possible d’emmener notre son dans différentes directions. Romance est le résultat du travail de composition de cinq personnes ayant proposé des idées différentes. Lorsque nous nous sommes retrouvés tous ensemble, nous avons été étonnés par la qualité des maquettes et nous avons décidé d’y rester fidèles.

L’album a pourtant un son bien particulier, cela a-t-il été difficile de trouver un fil conducteur ?
Nous avions une liste de quarante titres, écrite sur un grand tableau blanc. Il a fallu procéder par élimination. Ça n’a pas été trop compliqué car au tout début du processus nous savions que nous devions proposer des chansons qui pourraient convenir à Fontaines DC. L’album solo de Grian (Chatten, le chanteur du groupe, ndlr) en est l’illustration parfaite. Je trouve chaque titre magnifique et je suis persuadé que nous n’aurions pas réussi à leur rendre justice avec les Fontaines. Ils auraient été ruinés avec un gros son de batterie et des guitares plus agressives. Généralement, nous raisonnons plus en termes de ce que nous pouvons faire en tant que groupe qu’en termes de direction musicale.

Le producteur est aussi là pour vous guider à trouver la bonne voie. Pourquoi avoir choisi de travailler avec James Ford sur Romance et quel a été son apport selon toi ?
Il a apporté de la clarté à notre son. Nous fonctionnions auparavant sur le modèle d’un groupe qui joue en live : tout était enregistré en trois jours. Cette fois, nous avons pris notre temps. Les chansons ont été enregistrées séparément. La pause du COVID nous a changés. Elle nous a permis de devenir de meilleurs songwriters et d’explorer les méthodes de production. Cela a indiscutablement modifié nos goûts musicaux et nos envies. Il est rapidement devenu évident que nous allions nous éloigner du son live, et James nous a beaucoup aidés sur ce point. Notre producteur historique Dan Carey y serait sans doute parvenu, mais nous voulions un nouveau départ, que ce soit pour le producteur ou bien la maison de disques.

Fontaines D.C. / Photo : Theo Cottle
Fontaines D.C. / Photo : Theo Cottle

Lors de la promo de l’album précédent, tu déclarais que le groupe n’était pas prêt à céder à la tentation pop. Vous avez pourtant franchi ce cap sur certains titres de Romance. Pourquoi ?
Tu trouves vraiment qu’il y a plusieurs pop songs sur l’album ? Favourite en est clairement une. Mais tu as sans doute raison. Je pense que c’est dû à notre maturité. Nous avons moins peur des chansons que nous écrivons. J’aime bien ne pas avoir à me freiner. Regarde The Cure. Ils sont considérés comme un groupe gothique, mais ils sont capables de sortir des perles comme Just Like Heaven et de l’assumer. Ce n’est pas Bauhaus qui aurait fait ça ! Ne pas publier Favourite parce qu’elle ne correspond pas à 100% à l’image du groupe aurait été une grosse erreur. Je suis accro à ce titre, principalement à ses paroles qui me touchent énormément à chaque fois que je le joue.

Même des titres plus expérimentaux ont un son énorme, comme taillé pour les stades. Peu de groupes arrivent à ce niveau où l’on sent qu’ils peuvent basculer dans une dimension supplémentaire avec des chansons pas forcément formatés pour la radio. Le réalises-tu ?
Je pense sincèrement que nous tenons un bon disque, mais les retours des journalistes que je rencontre me font penser qu’il se passe quelque chose de plus. Nous terminons un tour de promo européen et tu n’es pas le premier à m’en parler. La dernière fois que j’ai senti cette excitation, c’était pour la sortie du premier album. J’ai l’impression que Romance attise à nouveau la curiosité. C’est plutôt agréable, mais je suis tellement investi dans notre musique que je n’arrive pas à prendre du recul. Je ne pourrais plus te dire ce qui est normal ou accessible dans notre musique. Et encore moins car presque personne ne l’a écouté pour le moment.

Romance contient un bon nombre de singles potentiels aux sonorités pop (Desire, Bug, Death Kink, Favourite), pourquoi avoir choisi de diffuser Starbuster et un extrait de Romance en premier ?
Nous voulions que les gens se questionnent sur la romance. Pour citer les paroles : maybe romance is the place ? J’aime cette incertitude. Elle permet d’apprécier notre musique plus en profondeur. Favourite, le deuxième extrait, est une chanson catchy, mais dans le contexte de cet album, on peut douter de la sincérité du texte si on le compare aux autres, plus obscurs.

C’est le premier album qui ne parle pas autant de l’Irlande. Les thèmes sont plus universels. Pourquoi ce changement ?
Nous avons tous quitté l’Irlande pour Londres ou Paris. C’était difficile pour nous au début, mais ça fait déjà quatre ans maintenant que nous sommes partis de notre pays natal : le romantisme qui y était lié s’est altéré, on ne le connaît plus aussi bien qu’avant. On préfère aborder des sujets que nous maîtrisons mieux à présent.

Tu avais cherché à assombrir les titres de Stinky Fia avec ton jeu de basse, car d’après toi ils en avaient besoin. Qu’en est-il pour Romance ?
Cette fois les titres avaient besoin d’un peu de swing et de saleté. J’ai essayé de produire un son profond et sombre en accumulant les pistes de basse. C’est une première pour moi, ça rend les chansons plus puissantes. Les maquettes étant bien accomplies, plutôt que de chercher à déconstruire, j’ai préféré rendre service aux visions individuelles des personnes qui les ont composées. Nous n’avons presque pas expérimenté en studio. Tu me refais penser aux maquettes de Stinky Fia. Nous avions énormément retravaillé certains titres. Bloomsday était initialement une chanson bien plus pop que la version de l’album, tu aurais du mal à la reconnaître !

Vous avez enregistré l’album dans un château en banlieue parisienne. Vouliez-vous un endroit qui ne soit ni en Irlande ni en Angleterre ? Pourrais-tu nous parler de cette expérience ?
La Frette est un endroit magnifique. On y est bien accueilli, la quantité de matériel vintage y est incroyable. On en a utilisé certains de leurs instruments pour l’album, dont une basse des années soixante. Étant à l’écart d’une grande ville, nous étions immergés dans l’enregistrement et ça a donné une humeur à l’album.

Conor Deegan III (Fontaines D.C.) / Photo : Alain Bibal
Conor Deegan III (Fontaines D.C.) / Photo : Alain Bibal

J’ai vu que tu étais fan du groupe Girls, que nous apprécions particulièrement chez Section26, et dont plus personne ne parle aujourd’hui (même si un nouveau single de Christopher Owens vient de pointer son nez, ndlr). Que leur trouves-tu ?
Ils ont été une influence pour nous dès le départ. Il suffit d’écouter les riffs de guitare sur Liberty Bell sur Dogrel pour le comprendre. Ils étaient admirables. Très peu d’artistes arrivent à fusionner une telle qualité de son, d’accords et d’intelligence dans leurs textes. Elvis Costello y est parvenu sur son premier album, particulièrement sur Welcome To The Working Week. Mais en plus de ça Girls avait l’attitude et l’esthétique qui allait avec. C’est ce que nous admirions chez eux. Comment parvenir à tout avoir pour soi ? C’est complètement dingue. Quand Christopher Owens s’est lancé en solo, on a vite compris le rôle important que JR White avait joué au niveau du son du groupe. Il manquait quelque chose.

Pour la première fois, vous jouez avec votre image sur les photos de presse, vos passages télé. Pourrais-tu nous dire quelle en est la raison ?
Nous avions envie de brouiller les pistes et de rendre les choses plus intéressantes et fun pour nous. L’objectif est d’avoir un look plus proche du son de Romance. Je le vois comme une bonne opportunité de nous exprimer. J’aime l’idée que quelqu’un tombe sur une de nos photos et se dise : wow, mais c’est quoi ce truc (rires) ?!?

Pourquoi avoir quitté Partisan, le label qui vous soutenait depuis vos débuts ?
Nous étions bien chez Partisan. À titre personnel je suis resté en contact avec une partie de l’équipe. Mais nous avons ressenti le besoin de tout changer, notre look, notre style, notre son. XL sait vraiment s’y prendre avec des artistes à ce stade de leur carrière. Nous avons fait le bon choix.

Starbuster est inspiré par le groupe Korn. Est-ce le genre de groupe que vous écoutiez quand vous étiez ados ?
Oui, mais aussi pas mal de hip hop. On écoute régulièrement Korn dans nos loges ou dans notre bus. Outkast également. À un moment nous n’écoutions que du post-punk, mais nous avons commencé à saturer. Lorsque que l’on démarre un groupe, il est important d’avoir une vision claire. C’est ce que nous avons fait avec Dogrel, sinon ce serait parti dans tous les sens. C’était une base de départ qui nous a permis d’évoluer. On ne s’en rend pas forcément compte, mais cela demande du courage de concrétiser de nouvelles idées. On s’expose et on se lance dans quelque chose d’incertain.

Le succès du groupe a été quasi instantané et n’a cessé de croître depuis Dogrel. Cela a-t-il été difficile à gérer pour le groupe ?
Plusieurs années ont été nécessaires pour apprendre à trouver notre son et à créer de la musique. Nous avons parcouru l’Irlande sans argent pour donner des concerts, mais c’était fun, nous étions soudés. Puis nous avons sorti le premier album, et tourné toute l’année 2019 dans la foulée. Nous revenions régulièrement dans les mêmes villes, mais à chaque fois les salles étaient plus grandes. En avril 2019 nous avons joué au Gorilla à Manchester et en novembre à l’O2 Academy. C’était complètement dingue de passer 600 à 3500 spectateurs. Mais on ne le réalisait pas à l’époque, nous étions pris dans une spirale. Nous avons traversé cette période normalement car nous nous sommes serré les coudes. Il n’y avait pas le choix : comment veux-tu tenir en tournant dix mois d’affilée loin de chez toi, de ta famille et de tes amis ? Je me souviens de notre première tournée aux États-Unis ; nous étions coincés dans un van minuscule pendant des heures avec nos valises sur nos genoux. On s’arrêtait dans des motels en bordure d’autoroute pour dormir trois ou quatre heures. On décollait tous les matins à six heures pour arriver à temps dans la prochaine salle, décharger et installer notre matériel. On jouait notre concert puis nous rangions tout et c’était reparti pour trois heures de route. C’était comme ça tous les jours et j’ai adoré chaque seconde. J’étais un zombie, vraiment fatigué, mais ce sont mes meilleurs souvenirs. Je ne peux qu’avoir de la gratitude d’avoir pu vivre tout ce que j’ai vécu grâce au groupe.

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Romance de Fontaines D.C. est disponible chez XL Recordings/Beggars

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