Je crois que c’est aussi pour ça que je me suis passionné pour la musique. Pour la musique pop – dans le sens le plus large possible. Parce qu’au-delà des chansons, il y avait celles et ceux qui les composaient, il y avait leurs interviews, leurs postures, leurs fringues, leurs attitudes. Il y avait ce monde auquel nous n’avions pas accès, si ce n’est par procuration. Il y avait dans les journaux, dans les magazines, sur les pochettes – extérieures ou intérieures, recto ou verso – ces photos qui prouvaient qu’ils étaient différents. D’ailleurs, je me souviens très bien à quel point j’avais trouvé terrifiant un article paru dans le NME ou le Melody Maker au moment de la sortie du premier album de The House Of Love où le journaliste résumait la situation par une sorte de « c’est cool, ils sont comme tout le monde ». Bah non. Justement. Ce n’était pas cool du tout. Et je crois que cette image a fait que j’ai décidé de me désintéresser du groupe de Guy Chadwick – je sauve tout de même la première version de Shine On, sans doute parce qu’à l’époque de sa première écoute, je ne savais pas encore pour la normalité…
Aujourd’hui, pour les quelques raisons évoquées plus haut (les chansons ET LE RESTE), s’il y a bien une pop star, c’est Matt Fishbeck. Depuis la Côte Ouest des États-Unis, il cultive le mystère, sort des disques au compte-gouttes, porte des fringues comme personne ne sait les porter, prend des photos qui ressemblent à des tableaux et peint des tableaux qui ressemblent à des photos, écrit des chansons que lui seul peut chanter et enregistre des mixtapes d’une beauté bouleversante. Dans quelques semaines, le label Mexican Summer va rééditer (pour la première fois en vinyle) le premier album de Holy Shit – son groupe dans lequel sont passés Ariel Pink et Christopher Owens –, Stranded At Two Harbors (2006). Pour cette occasion, Matt Fishbeck m’a demandé d’écrire quelques mots – des notes de pochettes comme on dit dans le jargon. J’ai bien sûr accepté, en essayant de ne pas trop laisser paraitre à quel point j’étais fier et impressionné – oui, fier ET impressionné, et d’autant plus qu’elles ont été traduites de français en anglais par Winston Tong, l’éternel interprète de In A Manner Of Speaking. Je me suis exécuté et je crois que le résultat a plu. Le disque sortira cet été. Ou peut-être à la rentrée. Mais avant cela, Matt Fishbeck a souhaité me remercier – et rien ne l’y obligeait, je vais être payé pour ce travail (oui, il parait que c’est un travail). Alors, hier, il m’a envoyé cette chanson. C’est une reprise. Une reprise magnifique. Solennelle. Personnelle. Mais comme les plus beaux cadeaux sont ceux qu’on finit toujours par partager, la voici…
Quelle beauté, cette reprise. Et ce n’est pas la première fois qu’il fait le coup : superbe ‘The Missing Boy’ (Durutti Column) à Hyères il y a quelques années, excellent ‘Woke Up Sticky’ de Peter Perrett dans une galerie d’art de Los Angeles… Il y a aussi son groupe de reprises de Felt que je n’ai jamais écouté mais la façon dont il en parle (distance du micro, utilisation de la salive) suggère qu’il a tout compris.
A chacune de ses reprises je me fais cette réflexion : Matt Fishbeck dépasse la question de l’original, et de la comparaison (plus beau / moins beau). On ne peut même pas dire que cela joue sur l’écart – il révèle plutôt quelque chose de déjà présent dans l’original. Et en faisant cela – en se mettant au service de l’original – il met son empreinte à lui. Au point où ensuite, on écoute l’original en se souvenant agréablement de la version de Matt Fishbeck.
Ce que je veux dire c’est qu’il n’y a aucune prédation dans ses reprises. Il fait ça avec amour, avec respect, et sans aucune niaiserie non plus. C’est un maître. Je l’adore. Et je suis d’accord pour dire qu’il est la seule pop star aujourd’hui. (Pop star d’après la mort de l’industrie de la pop.) Merci Christophe pour cette formule – et pour le partage.