Fat Dog : « On ne veut surtout pas tomber dans la routine »

Fat Dog / Photo : Pooneh Ghana
Fat Dog / Photo : Pooneh Ghana

Si à une certaine époque la rumeur sur un nouveau groupe se faisait via la presse musicale, Fat Dog semble avoir bâti sa réputation sur ses prestations scéniques endiablées. Avec seulement trois titres electro-rock publiés au moment de cette interview, leurs concerts parisiens, briochins et berruyers avaient déjà marqué les esprits. Retranscrire cette énergie et cette folie sur disque sans décevoir a visiblement préoccupé plus que de raison Joe Love, le leader du groupe qui cache ses insécurités derrière une attitude de slacker. Ils y sont parvenus sur WOOF, avec l’aide du producteur James Ford (Depeche Mode, Arctic Monkeys, Fontaines D.C.) qui a réussi à canaliser les ambitions et les égarements d’un groupe bien plus exigeant et sérieux qu’il n’en a l’air. La preuve via cet entretien où il presque a fallu ramer pour que les personnalités se dévoilent et pour obtenir des informations sur l’album.

Pourriez-vous nous parler de la naissance du groupe ?
Chris : Joe s’ennuyait ferme dans sa chambre, il a voulu tenter de faire de la musique électronique pour casser la routine. Et puis il a décidé d’ajouter quelques instruments dessus. C’est à partir de ce moment que la valse des musiciens au sein de Fat Dog a commencé. Malgré tout ça, nous sortons notre premier album, ce qui est complètement dingue.

Joe, tu as décrit les maquettes réalisées dans ta chambre comme quelque chose de ridicule qui ne ressemble pas vraiment à de la musique. Pourrais-tu nous dire pourquoi ?
Joe : J’enregistrais tout ce qui me passait par la tête. Mais j’avais un peu trop d’idées. Parfois ce n’est pas suffisant, il faut aussi de l’inspiration. J’ai du passer un temps fou pour en tirer quelque chose de bien.
Chris : Joe enregistrait tout à la chaîne, le rendu ne pouvait pas être optimal.

Avez-vous gardé une part de cette spontanéité initiale sur l’album ?
Joe : Pas vraiment. Mais on retrouve pas mal d’idées présentes dans mes démos sur l’album.
Chris : Nous avons eu du temps pour expérimenter en studio, je suis donc tenté de dire que si.

Le style du groupe est né d’un rejet du post punk qui a saturé la scène indie ces dernières années. Joe, ton groupe précédent jouait pourtant ce type de musique. Pourquoi avoir voulu se démarquer ?
Joe : Je ne sais pas. C’est sans doute lié au temps à tuer pendant le confinement. Mais aussi au fait que pendant la même période j’ai été exposé à tellement de musique qui se voulait déjantée sur papier mais qui était en fait abominable. C’est en réaction à ça et au fait que j’avais peur de péter un plomb en restant enfermé que je me suis mis à tenter quelque chose de nouveau, sans but bien précis.

C’est à ce moment-là que tu as commencé à envoyer des démos pour demander à des gens de collaborer avec toi ?
Joe : J’ai contacté des musiciens sur Craigslist et Gumtree pour savoir s’ils voulaient rejoindre mon groupe, mais les réponses étaient généralement négatives. Il y a même une personne qui m’a avoué avoir 58 ans et des petits enfants pour justifier son refus. En persévérant, j’ai tout de même trouvé des gens intéressés.

Vos premiers concerts ont eu lieu dès que les salles ont rouvert après le confinement. Le moment devait être parfait, aussi bien pour vous que pour le public. La communion a-t-elle été quasi instantanée ?
Joe : Nous avons même joué un concert abominable à la George Tavern pendant le confinement. Non seulement nous étions mauvais, principalement à cause de moi, mais comment veux-tu arriver à captiver des gens qui sont scotchés sur leur fauteuil sans avoir le droit de bouger. On voyait certaines personnes manger de la pizza. Pendant le Covid, on ne pouvait commander de l’alcool dans un pub que si l’on mangeait. J’ai des amis qui se sont forcés à manger six currys pour pouvoir boire six pintes (rire). Je pense surtout que notre style de musique n’était pas adapté à ce type d’événement. Nous pensions sincèrement être mauvais jusqu’au jour où l’obligation de rester assis a été levée. Les gens étaient dingues et dansaient comme des fous. Nous aussi d’ailleurs à tel point que j’ai sauté dans le public pendant le deuxième morceau et je me suis abîmé la rotule. Je ne te raconte pas comment j’ai souffert pendant le reste du concert car j’ai continué à bouger comme si de rien n’était. Je n’ai aucun regret, ça valait vraiment le coup.

Fat Dog / Photo : Pooneh Ghana
Fat Dog / Photo : Pooneh Ghana

Joe, à t’écouter, tu sembles avoir un manque de confiance en toi, tu dénigres souvent ce que tu accomplis.
Joe : Ce manque de confiance est toujours présent aujourd’hui, même si tout évolue positivement pour Fat Dog. C’est plutôt sain je trouve. Je ne veux surtout pas me reposer sur mes lauriers. J’ai écrit ces chansons et je les ai enregistrées, mais je considère que certaines sont nulles. Ça ne m’empêche pas d’espérer que d’autres personnes auront un avis différent. J’essaie de ne pas trop y penser et de passer à autre chose.

Avant même la sortie de votre album et avec seulement trois titres sortis, vous jouez en concert dans des salles de plus en plus grandes. Comment l’expliquez-vous ?
Chris : J’adorerais jouer un jour dans un stade, ce serait une sacrée expérience. Mais je trouve que notre son rend mieux dans des petites salles. C’est peut-être pour ça que le bouche à oreille fonctionne. Nous attirons aujourd’hui 700 personnes au maximum, ce qui est déjà énorme.

Il y a eu beaucoup de changement dans le line-up. Pensez-vous avoir enfin trouvé la formation définitive ?
Joe : Pas vraiment, non. Chris, tu es avec moi encore pour un bon moment je pense ?
Chris : Je suis un bon élève. Je joue ce que l’on me demande sans poser de questions et je ne me plains jamais. Je ferais un assassin parfait. C’est probablement le secret de ma longévité au sein de Fat Dog (rire).
Joe : Quelque part, ça me plaît de changer de musiciens, de ne surtout pas tomber dans une routine. Cela permet de s’adapter aux besoins et envies ponctuels. Je ne veux pas jouer éternellement les mêmes chansons avec les mêmes musiciens.

Vous avez déjà une armée de fans, nommée The Kennel. N’avez-vous pas peur que tout aille trop vite pour vous ?
Joe : J’ai plutôt l’impression que ça ne va pas suffisamment vite. Je ne crache pas dans la soupe, mais j’ai du mal à comprendre pourquoi un groupe d’une notoriété aussi petite que la nôtre est envoyé à Barcelone ou à Paris pour répondre aux questions des journalistes. On joue le jeu car on espère que ça intéressera quelques personnes qui liront des articles sur nous. J’ai vraiment peur que les gens n’aiment pas l’album.
Chris : Tu devrais t’allonger sur le divan et lui raconter ta vie comme tu l’as fait avec moi.
Joe : Nous revenions de l’Île de White juste après l’enregistrement de l’album, je suis allé boire un café dans un Weatherspoon (une chaine de pubs, ndlr) avec Chris et je lui ai déballé l’histoire de ma vie. Il connaît toutes mes incertitudes et mes inquiétudes. Nous n’en sommes qu’à notre premier disque, mais j’ai déjà peur de la page blanche pour la suite.

L’album est court, avec de rares moment de répit, et ne comporte que neuf titres. Vouliez-vous éviter de lasser sur la longueur ?
Joe : C’est ce que nous souhaitions. On ne peut pas écouter de la musique aussi tendue sur une longue durée car tout finit par sonner comme du bruit. Il ne faut pas perdre l’attention des auditeurs. Enfin, pour ceux qui écoutent encore des albums. J’espère y être parvenu.

Vous avez joué cinq heures en studio dans les conditions d’un concert, mais il manquait quelque chose à l’arrivée. Pourrais-tu nous dire pourquoi cette session n’a pas été retenue pour l’album ?
Chris : Sans public, nous n’arrivions pas à recréer l’énergie du live. Ça sonnait faux car nous avions le temps de nous concentrer sur les détails.
Joe : Je savais que ça ne fonctionnerait pas, et pourtant j’ai vraiment essayé. La majorité des enregistrements en live sont pourris. Rien ne remplace le fait d’être dans une salle avec des fans. C’est un moment unique. L’énergie sur disque vient d’ailleurs, c’est plus un travail sur le son.

Prendre du recul en studio pour l’enregistrement de titres que l’on a joués des centaines de fois en concert ou en répétitions ne doit pas être évident !
Joe : On a eu du mal sur quelques morceaux. Nous privilégions tellement l’énergie par rapport aux mélodies que nous avons galéré pour la retranscrire sur disque. C’était plus facile sur les titres calmes.

James Ford, qui a produit l’album, a-t-il été une grande aide pour y parvenir ?
Joe : Je pense. Il m’a surtout remis dans le droit chemin quand j’avais tendance à me disperser. Il a tout fait pour que nous gardions une ligne directrice. Mais je trouve qu’il m’en demandait parfois beaucoup au lieu de considérer qu’on pouvait s’arrêter et passer à autre chose. Il voulait sans doute que je sois fier du résultat final.

Tu voulais que l’album soit encore plus barré qu’il ne l’est déjà. Pourquoi ce changement en cours de route ?
Joe : C’est surtout en termes de mixage. Je voulais qu’il tabasse plus. Il est tout de même intense, mais plus à un niveau “dance” que “punk”. J’aurai préféré que ce soit un franc mélange des deux.

Si l’on se fie à vos photos et vos vidéos, vous avez l’air de ne pas vouloir trop vous prendre au sérieux. Est-ce une approche que vous avez également en studio, ou au contraire êtes-vous des perfectionnistes ?
Joe : On prend la musique très au sérieux. Notre humour ressort plutôt dans les visuels.
Chris : Il y a parfois un peu d’humour dans les paroles. Mais sans être de la musique pour intellos, nous voulons que les gens la ressentent profondément tout en passant un bon moment.
Joe : J’aime la spontanéité, mais j’ai parfois du mal à ne pas sombrer dans un état obsessif sur mes textes. J’en ai réécrit certains des dizaines de fois.

Votre réputation a dû engendrer des offres de plusieurs maisons de disques. Pourquoi avoir choisi de signer chez Domino ?
Joe : Ce sont les seuls qui ont bien voulu nous signer. Nous utilisions leurs studios depuis un moment et Lawrence, le boss du label a commencé à venir nous voir en concert et à passer un bon moment. Tout est parti de là.
Chris : A un moment, Island était intéressé, mais ils ont changé d’avis car ils nous trouvaient que notre potentiel ne se sentait pas encore suffisamment.

On a tendance à vous cataloguer comme un groupe de “Dance Klezmer”. C’est pourtant bien éloigné de la réalité. Cela ne vous énerve-t-il pas ?
Chris : On n’en peut plus, mais c’est de notre faute, on s’est vendu un peu comme ça au tout début.
Joe : Si tu savais les conneries que l’on entend pour nous décrire ! On nous a aussi appelé les Madness du futur et du post pandemic electro punk ! Pour moi nous jouons du rock électronique, point barre. Quoi que, avec tout ça, je ne sais plus vraiment qui nous sommes !

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WOOF de Fat Dog est sorti chez Domino Recording Co.

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