Pour le commun des mortels amateurs de musique, João Gilberto n’est plus de ce monde… Probablement a-t-il passé la guitare à gauche comme Jobim dans les années 80 ou 90, auréolé de la gloire dont on marbre les héros de musée. Et pour cause, on est presque sans nouvelle du guitariste et poète considéré comme l’inventeur de la bossa nova. Si l’auteur de certaines des plus belles (et fameuses) chansons d’amour de ce répertoire était encore vivant, il serait admiré, invité et triomphant. Forcément, il donnerait encore de par le monde des concerts de prestige, comme Chico Buarque ou Caetano Veloso. Et pourtant, il n’en est rien : en 2019, João Gilberto vit tel un fantôme, reclus depuis 30 ans dans une chambre d’hôtel de Rio d’où il s’évade en de très rares occasions. Même au Brésil, personne ne semble se soucier de lui. Comme il le chantait jadis sur Doralice, « je préfère vivre seul, au son plaintif de ma guitare. »
Where Are You João Gilberto? est une enquête sur les traces d’une enquête, l’histoire d’un disparu recherchant un autre disparu.
Il y a une décennie le journaliste allemand Marc Fischer s’est assigné une mission folle. Dans une quête obsessionnelle, il est parti au Brésil sur les traces du musicien dans l’espoir de le rencontrer et de l’entendre jouer Hô-bá-lá-lá. Au fil de ses rencontres, à la manière d’un détective, Marc Fischer a recueilli les témoignages, recherché les pistes, tenté de comprendre la personnalité du compositeur, l’origine de sa nostalgie et de déchiffrer l’énigme de son retrait du monde. Finalement, la rencontre n’a pas jamais eu lieu, mais le journaliste est parvenu à dessiner en creux son portrait de Gilberto et de sa musique. Cette histoire fût racontée dans le livre Hô-bá-lá-lá publié en 2011, quelques jours après le suicide de l’auteur.
Tout aurait pu s’arrêter là, avec un goût d’inachevé.
Georges Gachot, réalisateur spécialisé dans les documentaires musicaux sur la musique classique (Martha Argerich, conversation nocturne, Bach à la pagode …) et brésilienne (Maria Bethânia, música é perfume, O Samba …) cherchait depuis longtemps une manière de consacrer un film à son idole João Gilberto, lorsqu’il découvre l’enquête de Fischer. En 2015, il décide de marcher sur les pas de l’auteur et de partir à son tour à la quête du plus sensuel des chanteurs mélancoliques. Sur son chemin, il rencontre les personnes qu’a croisées Fischer (le formidable pianiste João Donato, Roberto Menescal, Marcos Valle, un coiffeur…), s’accroche aux mêmes détails, visite les mêmes lieux, la même salle de bain de Diamantina où est née la bossa nova. Curieusement, lorsque Gachot commence à éprouver les sensations et frustrations de Fischer, on se dit que la nostalgie de João Gilberto est universelle. On s’inquiète aussi pour Gachot… Nous n’en dirons pas plus.
La magie de ce film réside dans la douceur de son rythme et de ses silences, qui laissent entendre les vibrations des mots de Marc Fischer et la musique de João Gilberto. En tendant bien l’oreille, l’absence peut révéler l’écho de beaux chuchotements et de doux accords. C’est seulement ainsi que l’on écoute les fantômes discrets de la bossa nova.