La carrière d’Eddy Mitchell a connu des hauts et des bas ; elle force cependant le respect de par sa longévité. Pionnier du rock français avec Les Chaussettes Noires aux cotés de groupes et artistes twist comme les Chats Sauvages, les Pingouins, Danyel Gérard ou Johnny Hallyday, Claude Moine a traversé les époques avec grâce, même si le succès commercial ne fut pas toujours de la partie. Au niveau des ventes, il connaît en effet un passage à vide à la fin des sixties et au début de la décennie suivante. Fidèle à une certaine idée de la musique, surtout américaine et roots, Eddy Mitchell ne prend pas de virage hippy opportuniste, contrairement à d’autres collègues (coucou Jean-Phi’).
Claude Moine n’en publie pas moins d’excellents albums tels que l’étonnant Zig-Zag (1972) accompagné par Magma. En pleine révolte étudiante, Eddy enregistre aussi Sept Colts pour Schmoll (1968). La pochette, magnifique, est illustrée par Jean Giraud en personne (Blueberry). La modestie du projet saute aux yeux : Eddy Mitchell enregistre onze covers dans un studio français avec des musiciens du cru (les Soul Brass), dont son fidèle camarade Pierre Papadiamandis à l’orgue. À la prise de son, nous retrouvons également l’omniprésent Bernard Estardy, homme orchestre de la variété française des années soixante/soixante-dix, de Nino Ferrer, en passant par Françoise Hardy ou Claude François. L’ambiance semble être alors décontractée. Eddy Mitchell profite du dernier morceau de l’album pour présenter ses musiciens et les chambre affectueusement. Cette complicité insuffle vie et plaisir à Sept Colts pour Schmoll. En pleine légitimation du rock, l’album est une anomalie à bien des égards. À l’inverse du sérieux affiché ailleurs, Eddy Mitchell se fend, entre les chansons, de pastilles humoristiques, inspirés des Westerns qu’il chérit tant. Eddy Mitchell pioche un peu partout des chansons qu’il aime, passant du rock’n’roll (Thirteen Women, Be Bop A Lula 1968) à la soul (Hold On I’m Coming, Sunny, Tighten Up) et même la pop (The Fool on the Hill).
Le disque dépasse largement les attentes sur ce type d’exercice. Il se réapproprie le répertoire et fait siennes ces chansons pourtant parfois très connues. Elles fonctionnent comme un tout et offrent une cohérence étonnante compte tenu de la diversité des sources (Sam & Dave, the Beatles, Bobby Hebb, Bill Haley etc.). Sept Colts pour Schmoll est, de fait, un disque intemporel. Il ne suit pas la mode psychédélique et ne cherche pas à jouer sur la fibre nostalgique. Eddy Mitchell convoque un répertoire varié et construit un dialogue, autour de chansons, issues d’époques différentes. Les musiciens français font plus qu’honneur au matériel d’origine : ils jouent très bien, sans pasticher leurs camarades de Memphis ou Liverpool. Il est regrettable que cette phase d’Eddy soit passée un peu inaperçue tant elle est qualitative. Elle est au fond à l’image du personnage public de Claude Moine, modeste et élégante, sans en faire des tonnes. Au milieu des seventies, Eddy Mitchell retrouvera les hit-parades en creusant une autre de ses passions : la country-rock. Il le fera avec autant de justesse et de sincérité que cet excellent Sept Colts pour Schmoll.