Avec Michel et Joël, on avait décidé de se poser sur un banc, au parc des Contades, à deux pas de la synagogue. On a discuté musique évidemment, et on a évoqué la reformation de Marquis de Sade, qui avait joué à Strasbourg il y a peu, beaucoup grâce au grand frère de Joël, Thierry. Marquis de Sade est un groupe important pour les deux frères. Pour Michel, je ne sais pas. Pour moi, pas trop. Trop lointain, trop sec, trop cérébral, une musique tout en chocs électriques, une voix spectrale… J’ai dit, un peu bravache : » j’attendrai avec plaisir le moment où Philippe Pascal reformera Marc Seberg, là, je viendrai. » de Joël, Thierry. Marquis de Sade est un groupe important pour les deux frères. Pour Michel, je ne sais pas. Pour moi, pas trop. Trop lointain, trop sec, trop cérébral, une musique tout en chocs électriques, une voix spectrale… J’ai dit, un peu bravache : » j’attendrai avec plaisir le moment où Philippe Pascal reformera Marc Seberg, là, je viendrai. »
C’est la première chose qui me vient en tête quand je pense à Philippe Pascal. J’ai donc dévoré le petit livre que Dominique Ané a écrit sur cet homme insondable, et c’est très beau. Il évoque de façon tranchante ses rapports avec la musique du chanteur de Marquis de Sade, comme on sait qu’il sait écrire, sans fausse pudeur, sans épargner personne, à commencer par lui-même. A travers la figure rennaise tant admirée, il évoque avec précision les rapports qui peuvent lier un fan à la musique de son idole. Tout y passe, étape par étape : la découverte du groupe sur les disques écoutés avec la copine légendaire dans la chambre de bonne, la rencontre tant désirée, le rendez-vous forcément manqué, un concert de son propre groupe en première partie… Et puis, les deux trajectoires vont finir par se croiser. Dominique A le chanteur s’installe dans le métier, tandis que Philippe Pascal n’y reste jamais vraiment… C’est le moment de bascule : le passage de l’autre côté du miroir, l’inversion des rôles, la (re)connaissance mutuelle, et plus que ça.
Mon meilleur copain est amoureux d’une fille de la classe, en Terminale A1. Elle écoute Marc Seberg, elle va même les voir en concert à la salle des fêtes. A Belfort, il ne se passe pas grand chose, alors le groupe devient le sujet de conversation numéro un dans la cour du lycée. On se met tous à écouter Marc Seberg, en partie pour espérer y découvrir les secrets de la jeune fille tant désirée. C’est l’époque de Lumières et Trahisons (1987). Au fond de moi, je trouve cette emphase, cette poésie alambiquée aux limites du ridicule. Et pourtant quelque chose m’attire, me touche fortement, au point que certaines chansons me suivent encore. Sans doute qu’au-delà de ses strates de sons gonflées à l’hélium d’une production héroïque, j’y sens ce truc qui vibre dans la voix de cet homme, quelque chose de très doux finalement, une sensibilité extrême qui ne sera jamais à sa place ici-bas.
Ecrire sur ce livre, c’est aussi écrire sur soi, bien sûr. C’est le second souvenir, recomposé car plus lointain, qui me vient quand je pense à Philippe Pascal. Dans le livre, Dominique Ané y dévoile aussi beaucoup de sa vie, par petites touches : les moments de solitudes (ce bref passage à Tenerife, bouleversant), les périodes d’interrogation face aux mystères de l’écriture (un métier pour lui, une malédiction pour l’autre), les phases de rapprochement avec cette mystérieuse confrérie des chanteurs (qui sont ses amis, on s’en rappelle), au-delà des générations qui les séparent. Avec toujours cette volonté de rester les pieds sur terre et les mains dans la glaise d’un quotidien, parfois tragique : ici, cette pharmacie où Philippe Pascal aidait son épouse, un lieu de travail situé, ironie du sort, juste en face de la salle de concert, l’Ubu, le temple rennais, où tout avait commencé, où tout aurait pu changer. A une rue de l’éternité.