C’était le meilleur restaurant de Nantes. Deux frères. Le cadet – un fou – en cuisine, ayant exercé à Londres, en Espagne. Un génie. En salle, le grand. Un anxieux du vin, à la recherche des meilleurs domaines. Son regard bleu glacé voilait une certaine mélancolie. Il lui arrivait de servir, à mon amoureuse, de la bière dans une théière. Il s’interrompait dans une conversation lorsqu’il voyait traverser une jolie femme, place Canclaux. Ce matin, je reçois un mail tout triste annonçant la fin de l’aventure. Je pense à mes habitudes Nantaises – Le Landru, Le Détour. Combien vont survivre ? Saudade des cafés, des restaurants et des amis au service, en cuisine. Projeté dans une certaine mélancolie, je me suis regardé sous la couette – temps breton oblige – ce grandiose échec commercial que fut Garçon ! de Claude Sautet. Yves Montand est insupportable, servant magnifiquement le film. On se plait à scruter le chaos et la joie dans une salle de brasserie. Le rythme, fou, fait chavirer les vies. Ça fume, ça boit, ça baise et cela se quitte. J’ai écrit mes “meilleurs mauvais” poèmes au fond des bistrots. Sautet raconte admirablement comment cela peut-être un endroit décisif. La preuve – j’y ai rencontré la femme que j’aime. Alors quoi de mieux que le disque de Dark Tea pour imaginer nos futures bitures? Gary Canino a, sans doutes, vu les ravages de la pandémie dans les couloirs de maisons basses de L.A. Son disque a ce truc trainant, ce type de chewing-gum collé sous la chaussure où se greffent les désillusions. Sorte de Gary Numan subitement intrigué pour la musique folk, Canino fabrique des chansons énigmatiques, indéfinissables. Dark Tea nous fait voir des cumulus gris de tristesse dans le ciel bleu de Los Angeles. Los Angeles… Les tribus amérindiennes avaient fortement déconseillé aux nouveaux arrivants de s’installer là où la terre est en colère. Cela n’a pas empêché les colons d’y ériger une mégalopole. Quelle terre se présente au lever du soleil ? Comment nommer le chemin qui s’offre à nous ? Joy Harjo ne le tait pas, son poème ne le tait pas – ce sera un chemin des larmes. L’Aube Américaine est un long chant sublime que Joy Harpo a longuement médité. Elle revient dans les pas de son ancêtre, grand-père Monahwee. Elle raconte l’exil, la colère et le silence. Beauté de ces femmes et hommes qui ont fui dignement leurs oppresseurs. Monahwee disait qu’une fois franchi le grand fleuve, il ne voulait plus voir un seul homme blanc. Il tint parole et vécu jusqu’à cent ans. Décidément, nous ne sommes beaux et belles que par nos convictions et engagements.
De beaux lendemains – Claude Sautet, Dark Tea, Joy Harjo
Collage sauvage et de mauvaise foi de l’actualité culturelle de la semaine