David Bowie, Space Oddity (Parlophone)

Les chroniques anniversaire de l’été

David Bowie

Juillet 1969 fut exceptionnel pour l’humanité mais également à un niveau plus personnel pour David Bowie. Si Neil Armstrong et Buzz Aldrin posèrent le pied sur la lune, tandis que Michael Collins survolait l’objet céleste depuis le module de commande d’Apollo 11, Bowie lança sa propre fusée, sur le thème de l’espace : Space Oddity. La chanson fut en effet un moment décisif dans la carrière du chanteur androgyne. Elle fut son premier véritable hit en atteignant la cinquième place en Angleterre et une plus modeste mais déjà impressionnante quinzième position aux Etats-Unis. Elle contribua aussi beaucoup à définir la personnalité de Bowie telle que nous la connaissons et aimons. À l’occasion des cinquante ans de sa sortie, Parlophone réédite le single sous la forme d’un coffret deux singles comprenant la version originale et un nouveau mixage ainsi que diverses photos inédites d’époque du chanteur britannique. L’occasion de revenir sur le premier jalon de la carrière fantastique de David Bowie.

Davie Bowie, Mod

Avant tout cela, Bowie s’est longtemps cherché. Passé par la case moderniste comme d’autres futures stars des années soixante dix telles que Marc Bolan ou Rod Stewart, il œuvrait dans des combos de bonne facture entre rhythm & blues et freakbeat. De cette période (1965-1966), les deux singles pour Parlophone se démarquent particulièrement, notamment de ceux enregistrés pour PYE. Avec les Manish Boys, il poursuit l’oeuvre beat et bluesy de groupes comme les Animals ou Manfred Mann (Take my Tip), tandis qu’avec les Lower Third, Davy Jones (pas encore Bowie donc) vire carrément pop art avec la décharge d’énergie You’ve Got a Habit of Leaving. Produit par le seul et unique Shel Talmy (The Kinks, The Easybeats), la chanson aurait parfaitement trouvé sa place dans le répertoire de The Who ou The Creation.

Le virage Music Hall de 1967

Après s’être essayé à la musique rythmée, Bowie opère un changement radical pour son premier album chez Deram, la filière fashion du vénérable label Decca. Il abandonne le blues et les gammes pentatoniques au profit d’une pop influencée par le music-hall et le vaudeville, proche de certaines chansons des Beatles (When i’m 64) ou des Kinks période Village Green. Le rendu n’est pas forcément inintéressant, mais pas non plus spécialement mémorable, en tout cas l’album est un flop commercial et voilà notre héros blond à la recherche d’un label…

Une démo

Pendant qu’il était encore en contrat pour Deram, David Bowie enregistre en février 1969 une chanson intitulée Space Oddity intégré au film promotionnel Love You Till Tuesdayune vidéo suggérée par son manager Kenneth Pitt. Cette version embryonnaire est chantée en duo avec son partenaire musical John Hutchinson. Cette version n’a certes pas la majesté et l’ampleur de la version ultérieure, mais nous y retrouvons déjà certains des traits si particuliers qui font le charme unique de cette grande composition. Il y a ce solo d’ocarina étonnant, étrange voir incongru. La montée pré-refrain évoquant A day in the life est aussi présente comme le petit riff de guitare qui introduit le pont. Pourtant, il manque encore beaucoup à ce thème si cher à l’époque.

L’espace
2001, l’Odyssée de l’Espace de Stanley Kubrick

La conquête spatiale est une des obsessions du monde occidental des années soixante. À la fin de la décennie précédente, russes puis américains envoient leurs premiers satellites autour de la terre. Spoutnik 1, en 1957, est un choc pour la nation nord américaine capitaliste qui réplique cependant avec Explorer 1 quelques mois plus tard (janvier 1958).  Les artistes s’emparent de ces avancées. Telstar (1962) des Tornados ou Early Bird (1965) d’André Brasseur sont nommées en hommage de satellites.  Roger Vadim filme Jane Fonda dans le psychédélique Barbarella (1968) tandis que la même année Stanley Kubrick réalise un des chefs d’oeuvre du cinéma à travers 2001, L’Odyssée de l’EspaceLes mésaventures de l’équipe avec l’ordinateur Hal 9000 sont une des sources d’inspiration de Bowie pour sa propre création.

Space Oddity

Après avoir eu son contrat rendu, Bowie signe pour un deal d’un album renouvelable chez Mercury, représenté en Angleterre par Philips. Si Visconti est séduit par les démos de l’album, il n’est pas sûr du choix de Space Oddity en single. Il trouve l’idée un peu facile (cheap shot), par conséquent Gus Dudgeon est en charge de celui-ci. L’enregistrement a lieu le 20 juin 1969 en présence de musiciens comme Herbie Flowers à la basse ou Rick Wakeman (futur-Yes) au Mellotron. L’équipe donne à la chanson l’écrin qu’elle méritait. Space Oddity devient ce voyage à la fois si familier et extraordinaire. L’introduction en crescendo, Bowie qui appelle le Major Tom… Comment ne pas encore être saisi cinquante plus tard par l’ampleur et la dimension de cette chanson ? Les arrangements sont sublimes et accompagnent à merveille le texte sur cet astronaute perdu dans l’espace. Le Mellotron amène un lyrisme aussi vivant que voilé avec ses sonorités feutrés. Le solo de stylophone est un autre temps fort de la chanson, l’instrument atypique fait une apparition remarquée amenant avec lui son extravagance.

Un énorme succès

Sans surprise, la BBC ne commence à diffuser la chanson massivement qu’après le retour sain et sauf de la mission et des astronautes américains. La chanson capte l’air du temps, loin d’être le cheap shot attendu par Tony Visconti, et en devient un des emblèmes. Le morceau ne deviendra cependant numéro un en Angleterre que lors de sa réédition en 1975. L’album qui suit, avec sa pochette mythique, une photographie de Vernon Dewhurst entrecroisée d’un tableau de Victor Vasarely, affirme Bowie comme l’une des figures de son époque, stature qu’il va confirmer avec ses albums suivants. Le thème de l’espace et la figure de Major Tom reviendront dans de nombreuses autres chansons du chanteur britannique, de Life on Mars à Starman.

Le mixage de 2019 de Tony Visconti

L’interprétation de Tony Visconti de Space Oddity offre un regard nouveau sur la chanson, à défaut de surpasser le mixage d’origine. À l’énergie d’un mix mono, Visconti préfère la finesse d’un mixage stéréophonique. Les cordes du couplet se détachent ainsi mieux au point d’en redécouvrir les mélodies. Cet impression se confirme sur les autres instruments qui bénéficient de ce traitement. Ils gagnent en définition ce qu’ils perdent en cohésion. Cette modernité d’approche du mixage ne trahit cependant pas le matériau d’origine ni les intentions de l’époque. Dosée subtilement, elle éclaire un peu mieux la surface sans non plus dévoiler tout le mystère. Elle constitue ainsi un excellent complément à l’indépassable version que tout le monde connaît, qui sera certainement encore écoutée dans les cinquante prochaines années.

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