La power-pop – puisque c’est une fois encore d’elle et de ses évangiles dont il s’agit ici – n’a jamais eu très grosse cote, encore moins dans sa version originale, au beau pays du Yéyé. Prenez My Sharona de The Knack, par exemple : la France demeure à ce jour le seul pays où il aura fallu attendre 2004 et une adaptation façon grosse poilade de Michaël Youn – Comme Des Connards – pour que le tube le plus universel du genre s’impose au sommet des charts. A défaut de pouvoir ici décrypter les fondements cachés de cet atavisme paillard, force est de constater qu’il n’y a que dans l’Hexagone où les très rares exemples de diffusion massive de cette forme musicale pourtant profondément accessible ont systématiquement dû emprunter les chemins dévoyés de la gauloiserie en VF. A cet égard, il sera intéressant de revenir un jour sur la trajectoire curviligne de ces fans nantais d’Elvis Costello et des Who – Luc Boisseau et Vincent Lemoine pour ne pas les nommer – authentiquement doués pour les guitares et les mélodies comme en témoignent leurs œuvres de jeunesse obscures et respectives au sein de Tickets ou de Bookmakers – et qui ont dû, afin de séduire le grand public à coup d’épuisette et de slip kangourou, se contenter de rejouer pendant plusieurs décennies leurs hymnes à la sexualité joviale et lourdingue. Le temps viendra donc de réhabiliter les trop rares fragments kékette-free de l’œuvre d’Elmer Food Beat – oui, ils existent. Mais revenons-en pour le moment aux tenants d’un apostolat bien plus confidentiel.
Dans cette seconde moitié des années 1980, ils étaient quelques-uns. Pas si nombreux, certes, mais tous intimement convaincus de la nécessité d’entretenir localement une flamme distante de plusieurs dizaine de milliers de kilomètres et dont ils avaient entraperçus les premières incandescences comme on peut percevoir l’appel à la fois confus et impérieux d’une vocation. Quelques années auparavant, leurs grands frères du bestiaire animalier – Dogs, The Froggies – avaient pioché leurs références dans les mythologies musicales fondatrices d’un rock mélodique, à la fois pur et romantique, qui trouverait à s’incarner par chez nous dans une version résolument originale, dans tous les sens du terme. On retrouve un peu de cela chez les Cry Babies d’Orléans : assumer comme une première marche vers le sacré un certain ascétisme du langage, plus dépouillé, plus candide et donc plus pur. Plutôt que de trahir et traduire, revendiquer les limites de l’Anglais – les maladresses idiomatiques et les syntagmes figés qui entravent parfois l’écriture – tout comme les quelques traces d’un accent tonique un peu trop trainant parce que c’est là que réside l’imperfection et que se niche le charme. Reconnaître qu’aucun chanteur authentiquement anglophone ne ferait exploser les dentales finales de Little Johnny Jet comme Dominique Laboubée, et que, justement, c’est ce qui est vrai et beau.
Pour les frères Lhuillier – Laurent le chanteur et Alain le guitariste – et leurs coreligionnaires, les textes sacrés se déchiffrent d’abord dans l’héritage fécond abandonné derrière eux par les Nerves – les quatre titres fondateurs puis le legs discographique considérable de Peter Case avec The Plimsouls et de Paul Collins avec The Beat. The Barracudas n’est pas très loin non plus sur ce Born In ’65 – comme un clin d’œil au (I Wish It Was) 1965 Again des hommes de Robin Wills – publié sur une obscure compilation et que le groupe avait coutume, jusqu’à la fin en 1996, de jouer en guise d’hymne conclusif de tous ses concerts, enchaîné avec une version imparable de Funky Town de Lipps, Inc. Le son voyage toujours moins rapidement que l’image, c’est bien connu. Et Cry Babies commence sa carrière en 1988, alors que l’âge d’or est déjà oublié sur le continent nord-américain, le groupe n’a jamais eu la moindre chance d’être cool ou de se connecter aux phases des modes de son époque – jusqu’à sa mort en 1996, où certains membres – osons balancer – arboraient encore une moustache et un mulet. Condamnés au décalage, absents des livres d’histoire les plus pointus et omniprésents dans les bacs à solde, ils ont pourtant publié presque coup sur coup trois albums remplis de fulgurances mélodiques et tous trois très en marge de leur époque et pourtant très inspirés.
Le premier – Pop Goes The Cork !, 1990 – produit par Thierry Duvigneau, alias Kid Pharaon, est publié sur un petit label tourangeau, Boom Rang, fondé par un ex-étudiant du cru, un certain Thierry Chassagne. Alors qu’il amorce la première phase de son brillant parcours vers les hautes sphères de l’industrie discographique, le futur patron de V2 et de Warner France embarque avec lui ses protégés chez In Fact !/Squatt, une sous-division de Sony créée au début des années 1990 pour mieux puiser dans les ressources d’une scène indépendante florissante. C’est par cette entremise que seront diffusés Running In The Outer Space (1992) et Elsewhere (1994).
Tous semblent avoir sombré corps et biens dans les abîmes du web, où il n’en subsiste plus que de rares extraits. Pourquoi accorder ici un privilège particulier au deuxième ? Parce que, nostalgie oblige, c’est celui que l’on a découvert d’abord, grâce à une chronique laudative et convaincante signée Jean-Luc Manet. Et puis, tout simplement, parce que c’est le deuxième album : un peu moins brut que le premier, un peu moins polissé que le troisième. C’est aussi qu’il témoigne de façon indubitable de ces quelques dizaines de mois de grâce où le groupe explosait toute la concurrence, pas seulement nationale, en studio et encore davantage sur scène. On se souvient encore de ces quelques galas étudiants fin 1994 où l’on jure – et crache même – avoir vu Cry Babies atomiser sur les coups de deux heures du matin une affiche pourtant dominée par des clients tels que Franck Black, période Teenager Of The Year, et Arno. Catch Us If You Can lâche-t-il ici d’entrée de jeu, en guise de référence un peu crâne à la légende de Dave Clark Five. L’album démarre pied au plancher. Et puis ensuite, le groupe accélère. Imprégnées d’un sens très impressionnant de la mélodie solaire, pleines de rebonds rythmiques et de ruptures inattendues, interprétées par un mini-Daltrey à bouclettes impressionnant d’aisance vocale, les onze chansons se bousculent et se réécoutent, trente ans plus tard, avec la même béatitude. Mention spéciale à l’enchaînement des quatre derniers titres – de Uncommon Girl à Be My Friend Again – en forme d’apothéose. Un classique, à tout point de vue.
Groupe dont j’ai acheté il n’y pas longtemps le CD « Running In The Outer Space » surtout pour l’excellent « Losing a friend ». Belles mélodies, paroles émouvantes, enchainements rapides et retombées douces, toutes qualités qui auraient pu en faire un morceau avec plus de notoriété.
Surement une découverte de l’époque de la vraie Ouï FM !