Comme souvent, ça commence par une invitation par mail de la salle semi-clandestine du coin, la meilleure, brillante et précieuse, par un lien vers un soundcloud ou un bandcamp, et puis l’illumination vient (ou pas) – d’ailleurs à ce propos, NB : c’est marrant comme le son d’un groupe peut convaincre quasiment dans la seconde, qu’il n’y ait pas besoin d’une écoute torturée pendant des heures, mais que l’envie d’aller plus loin se pose comme une évidence : traîner ses guêtres de vieux fonctionnaire (« en grève jusqu’à la retraite » est écrit sur un mur près de chez moi) parmi les étudiants des arts déco et les jeunes gens punks au RSA pour vérifier si le groupe tient la route en concert, tient les promesses de son enregistrement, et pas que. En général, j’avoue, comme je suis plutôt bon public, je suis vite émerveillé.
Et bingo, ça a marché avec Cochon Double, groupuscule de Neuchâtel (Switzerland), qui produit une musique difforme que je ne saurais nommer, encore moins étiqueter : il y a une guitare planquée dans un coin qui joue un peu pour elle, assez bavarde, mais très jolie, avec une grande palette d’expression, un chanteur – qui tient cette guitare – qui s’époumone dans un français un peu à bout de souffle, très simple, et puis des hommes liges à la batterie, aux synthés, aux guitares complémentaires. Le tout tire parfois vers l’hypnotique, l’expérimental, le bruit, le post tout (punk, rock, chanson), tendu et relâché, comme si on s’amusait à tirer un élastique et à le relâcher de temps à autre. Évidemment sur le papier, ça pourrait coincer tant tout se bouscule, mais en vrai sur disque et en concert, ce côté dépareillé captive, sans que l’horizon ne se bouche jamais : surtout par la présence de ce chanteur qui injecte une sacrée présence, une voix énervée, un corps en souffrance peut-être, et une bonne dose de liberté – les structures toujours mouvantes de ses chansons bizarres – à son quatuor.
Il se dégage, certes, de la recette de Cochon Double un précis de déprime assez sévère mais toujours porté par une belle énergie noire tantôt calme, tantôt explosive, surtout salutaire pour celui qui écrit et chante des choses du genre : « marcher dans sa ville devient difficile » (in La faiblesse de l’âme), « La mine triste des gens, je la comprends » (in Les petites choses de la vie) ou « Au travail ils veulent me renvoyer, sous prétexte que je fais que picoler » (in Alcool problèmes). Bon, en même temps, ça s’appelle En attendant de mourir, vous êtes prévenus.
Et évidemment, aux innocents les mains plaines, on frôle les petits classiques de radio ou de cinéma (une bonne synchro dans un film d’ici un peu gris, sur une scène de fête post-confinement, tiens) : Bonne mine, Trop de terriens, petits miracles nihilistes de quelques minutes qui peupleront les compilations de vos petits enfants curieux du passé ou carrément une superbe chanson pop tordue, Lucile (« tu me rends la vie difficile »). Avec des réminiscences lointaines de The Sea And Cake, plus pour cette liberté de chant de Sam Prekop (enfin, ce dont je me souviens, j’avoue j’ai pas écouté depuis un bail, mais j’ai ressenti ça), des ruptures de ton hérité du hardcore, de l’envoûtement, tant qu’on y est, voire une idée helvète de l’afrobeat, avec cette envie d’accéder à la transe : les quatre petits mectons savent bien mettre le dawa, c’est ça que je veux dire.
Au final, j’ai bien kiffé le groupe en gala dans ce local envahi par la fumée et ensuite le disque que je leur ai acheté à la fin du concert et que j’écoute en boucle en écrivant. Non, mais allez-y, c’est super bien Cochon Double (non, mais ce nom !).