Climats #31 : Jim O’Rourke, Warren Ellis

Écouter Nick Cave and the Bad Seeds sous le soleil d’Ibiza, c’est péché ?
Et Vincent Delerm faisant des reprises de Sebadoh, c’est souhaitable ou pas ?
Climats met en avant disques et livres selon les aléas de la météo.

La répétition du soleil

Je ne suis pas tellement amateur de reprises. Il y a toujours une partie essentielle d’une chanson qui se volatilise à travers cette répétition, plus ou moins minutieuse. Je me souviens des affreuses interprétations des Flaming Lips concernant les Beatles – l’ingérable album With A Little Help From My Fwends. Il y a pourtant, parfois, des réussites. Mark Kozelek avait ainsi magnifié et changé radicalement cette chanson des Wings, Silly Love Songs, qui se contentait d’un air charmant et dansant. Encore plus rare, la reprise qui supplante la chanson initiale. Une reprise qui devient tellement fascinante qu’elle efface de notre mémoire toutes les autres chansons. Je vis ce phénomène de vampirisation, depuis deux semaines déjà, avec cette reprise d’une composition de Bill Fay par Jim O’Rourke, Pictures of Adolf Again. Piano-voix fragile, rythmique fluide et discrète et puis cette rage… Elle parcourt l’essentiel de la chanson. Une rage rangée, ciselée et sublimée. Musique triste donc et surtout musique du calme avant la tempête. O’Rourke a su capter une urgence radicale dans le satin profond d’une merveilleuse orchestration. La chanson terminée, on sait qu’on y retournera – c’est plus fort que nous. Et il y a, dans cette addiction soudaine, le retour tant espéré du désir.

Crépuscule violet

Il y a cette magnifique couverture pensée par les Éditions de la Table Ronde. Ce violet profond et révérencieux. Et dans cette couleur, Warren Ellis, car c’est de lui dont il s’agit, va trouver la tonalité de ses souvenirs. Ce livre est merveilleux à plus d’un titre et justement, pour son titre : Le Chewing-Gum de Nina Simone. À travers un fétiche – le fameux chewing-gum mâchonné ardemment par Nina Simone un jour de concert au Meltdown Festival, Ellis va se remémorer son contact premier avec la musique, tisser et retisser les liens forts qui constituent son amitié avec Nick Cave. C’est donc à la fin de ce concert, lorsqu’il va décoller le chewing-gum du piano, qu’Ellis réalise son rapport au fétiche et à la magie. Il y a la beauté d’une fidélité aux objets – les belles pages sur son violon – rappelant les analyses esthétiques de Walter Benjamin. Les paragraphes consacrés à sa complicité avec Nick Cave sont sublimes. Des mots forts et justes qui font résonner amplement cette amitié où le ricanement côtoie souvent la grâce. Ellis possède aussi cette écriture instinctive qui reste dans la mémoire. Il écrit comme il joue – avec une poésie bestiale, une douceur sauvage.


Pictures Of Adolf Again, reprise de Bill Fay par Jim O’Rourke est disponible.
Le Chewing-Gum de Nina Simone par Warren Ellis est disponible chez les Éditions de la Table Ronde.

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