Climats #23 : Laraaji, Estelle Zhong Mengual

Georgia O'Keeffe, White Iris nº 7 (detail), 1957
Georgia O’Keeffe, White Iris nº 7 (detail), 1957

This could be the saddest dusk ever seen
You turn to a miracle high-alive
Michael Stipe

Peut-on écouter Vauxhall and I de Morrissey sous le franc soleil de juillet ? Et un Antônio Carlos Jobim empêtré dans un crachin de février, c’est toujours du Antônio Carlos Jobim ? Climats met en avant les sorties disques et livres selon la météo.

Le feu et la glace

Le feu en Alaska. Des brasiers, des vagues de flammes roulant sur la toundra. La glace fond à toute vitesse, laissant des étangs fumant ici et là. Le blanc semble lointain, le froid et son hostilité sont des souvenirs. Les fleurs n’ont pas de difficultés à se frayer un chemin. Le blanc est lointain, définitivement. It’s so cold in Alaska… Une phrase sans grande réalité à présent. Comment faire avec toute cette tristesse ? Vider une bouteille de Sancerre et écouter l’ultime album de Mark Hollis ? Non, c’est le mur assuré. Il faut plutôt miser sur la lévitation que sur le plongeon. Miser sur un artiste qui nous apprendrait à canaliser le ciel, à faire chuchoter les flammes. Un sage. À la naissance de mon fils, je remerciais Laraaji. Ambiant 3: Day of Radiance, sa contribution méditative avec Brian Eno (1980), avait sauvé pas mal de mes nuits. Laraaji ? Ce vieux sage inventant des illuminations sonores dans de miteuses chambres d’hôtels mérite la canonisation. Ses contemplations uniques entre le gospel et le zen frôlent la perfection dans cette compilation proposée par Numero Group. Visions Songs, Volume 1 est l’antidote à ce monde de cendres. Un monde s’inversant redoutablement, vomissant les nuits comme des jours et brûlant la glace, implacablement. Ce disque de Laraaji est son plus abordable – on croit entendre un Arthur Russell hédoniste et solaire. Son chant fragile se malaxe splendidement dans des micro-symphonies jouées au synthé. C’est bricolé et divinement aérien – comme si Daniel Johnston se retrouvait sponsorisé par Nature et Découvertes. Bref, le mysticisme qui ressort de ces comptines nous fascinera durablement.

Divines floraisons

La dernière exposition des œuvres de Georgia O’Keeffe n’a pas pu empêcher l’émergence de certaines analyses. Toujours les mêmes. Marronnier que de voir des sexes féminins dans chacune des fleurs représentées. Ces interprétations assèchent toute autre rencontre. Car, dans le prochain livre d’Estelle Zhong Mengual, il s’agit bien de définir et approfondir la rencontre entre l’homme et ce qui l’entoure. Michel Foucault appelait déjà à dépasser cette connaissance du monde basée sur la ressemblance et l’interprétation. La vision anthropomorphique est vivement contestée par l’autrice. Elle déboulonne aussi l’interprétation freudienne systématique de toute proposition artistique. Et si les fleurs de Georgia O’Keeffe n’étaient que des fleurs? Si la saveur de la rencontre n’était justement pas là : à voir l’autre comme autre justement. Estelle Zhong Mengual livre un superbe essai sur une approche différente du vivant qui intègrerait réellement l’altérité. Comprendre l’autre en le restituant dans sa différence. Mais il ne s’agit pas de rayer de la carte toute approche symbolique et psychanalytique de la nature. La pulsion de l’être humain peut se révéler imaginative et vivante. Tout ceci est un équilibre fragile et foisonnant.


Peindre au corps à corps – Les fleurs de Georgia O’Keeffe par Estelle Zhong Mengual paraîtra très prochainement aux Éditions Actes Sud.
Visions Songs, Volume 1 par Laraaji est disponible chez Numero Group.

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