This could be the saddest dusk ever seen
You turn to a miracle high-alive
Michael Stipe
Peut-on écouter Vauxhall and I de Morrissey sous le franc soleil de juillet ? Et un Antônio Carlos Jobim empêtré dans un crachin de février, c’est toujours du Antônio Carlos Jobim ? Climats met en avant les sorties disques et livres selon la météo.
Les anciens beaux jours
C’est étrange ces chansons-souvenirs. Elles ont existé, elles n’existent plus. Fantômes splendides et fragiles, recomposant pour l’éternité, un puzzle sans modèle. On avait juste la sensation de leur présence passée, une impression. Avec elles, il y avait tout un monde: lèvre inférieure fendue, parfum de bergamote niché au creux d’un cou, quelques ballons accrochés sur les toits, des collants noirs filés, des étoiles mauves arrosant de lumière des rues vides. Jens Lekman précisait dans son Small Talk : « J’ai une relation compliquée avec le passé. C’est le cas de tous ceux qui écrivent et qui ont eu une certaine forme de succès. Lorsque mon album Oh You’re So Silent Jens a été retiré il y a dix ans en raison de problèmes de samples, j’ai presque ressenti un soulagement. Le passé était devenu trop lourd. » Lecteur de Søren Kierkegaard, Lekman savait qu’il devait penser à une reprise. Le re-nouvellement de ces chansons-revenantes hantant les vidéos Youtube, ces chansons vieilles de vingt ans et éternellement jeunes, elles devaient toutes se projeter vers un nouvel essor. Reprendre donc mais autrement. Après avoir littéralement enterré son disque récemment retiré de la vente, Night Falls Over Kortedala, Jens Lekman a donc re-sorti ses disques défunts. Autrement, en étant l’homme qu’il est aujourd’hui. On avait senti ce changement de style lors de la publication de I Know What Love Isn’t. Une musique enlevée de la fraîcheur de ses samples, de leur inventivité incroyable. Plus austères mais toujours remarquablement écrites, les nouvelles compositions de Jens Lekman engageaient une réelle séparation. C’était douloureux mais nécessaire. On retrouve cette même impression d’innocence perdue avec toutes ces ré-interprétations. The Cherry Trees Are Still in Blossom et The Linden Trees Are Still in Blossom convoquent le souvenir. Mais c’est un souvenir forcé. Comme le précisait Walter Benjamin, il y a un ici et maintenant à toute création. Cela en fait sa valeur et son identité. Lekman de manière bouleversante tente de toucher un peu la grâce des instants premiers. C’est souvent réussi. Pourtant, on se dit que, parfois, certaines de ses chansons lui disent : « Noli Me Tangere ». Ne me touche pas, ne me retient pas. La vie est toute pleine d’adieux… Lekman précisait également qu’il avait détruit un disque dur rempli d’archives musicales. Tant de grâces et de beautés disparues a jamais laisse place au désir et à l’imaginaire. À l’heure de la disponibilité absolue, le geste de Jens Lekman est une splendeur.
Le chagrin des prochaines aurores
Juli est un nom qui revient souvent dans l’univers de Lekman. Cette répétition, cet obsession pour être entendu est aussi dans le cœur de l’écriture de Juli Zeh. Ancienne juriste, maniant avec froideur les phrases et les concepts Zeh est aussi passionnée d’une certaine filiation. Celle de Robert Musil. Implacable observation certes, mais qui cache une grande sensualité et un désir de compréhension. Dans Coeur Vides, on assiste à l’avènement d’un parti populiste au pouvoir. On croirait que celui-ci dévide la démocratie de tout son sens et toute sa vitalité. Mais cet évènement fut antérieur et a été le fruit des citoyens. Oui, tout ces citoyens en colère qui versent dans le complotisme, les actions violentes et affichant leur haine – sous couvert de liberté individuelle – sur les réseaux sociaux. Tout devient justifiable. Ce que travaille Juli Zeh, qui a lu précisément Malaise dans la Civilisation de Freud, c’est cette obsédante pulsion de mort qui a investi l’ensemble du corps d’une société. Juli Zeh raconte l’histoire de ce choix, de ces hommes et femmes qui ont pactisé avec le ressentiment plutôt que la vie. Cette rancœur étouffe un monde entier, le vide, l’assèche. Finalement, c’est le choix de la vie que Jens Lekman a fait en répétant ce qui a disparu. Il n’y a pas d’amertume dans cette initiative, simplement le goût de la joie de vivre.