Charlotte Leclerc, Moiré (Delodio)

Quand on essayait de rattraper le temps perdu, un ami bien informé nous mit sur la piste d’un groupe peu cité, auteur de plusieurs essais dont un album dans les années 2010, perdus depuis dans le limbes des musiques d’ici. Il s’agissait d’une œuvre sombre, mêlant musique électronique très maîtrisée et chant en français, sans qu’on puisse parler de synthpop, d’electroclash, ces choses qui souvent fâchent. Plutôt une musique d’espace technophile – sans qu’on sache si c’était rétromaniaque ou futuriste, pile entre les deux peut-être, le présent – avec des surgissements mélodiques et poétiques noires et déterminées comme l’âme sans doute de leurs auteurs. C’était ça, Night Riders (et son super album Future Noir), un disque qu’on ne pose pas sur la platine pour s’amuser mais plutôt pour un voyage intérieur, pour une transe intime, dans un mode recueillement plutôt intense. On ne sait pas trop si ça avait marqué les gens à l’époque, comme dit, on n’était pas vraiment là – et on le regrette – à part cet ami précieux qui savait, mais les disques du trio acquis depuis ne nous quittent plus.

Dans Night Riders, il y avait Charlotte Leclerc qui après la fin de son groupe, réapparait sur le label Delodio au volant d’un petit véhicule lo-fi et d’un storytelling profil bas – genre une jeune femme qui enregistre des trucs dans sa chambre, quasi par hasard – (Bingo en 2020, chroniqué chez nous), derrière lequel elle avait tant fait de s’effacer, il y a quelques années, comme si elle reprenait la température, sans trop avancer ses pions. C’est chose faite avec cet album ambitieux qui reprend les affaires où Night Riders les avait stoppées, toujours chez Delodio qui voit les choses en grand, playlisté sur radio nationale (FIP), vidéos annonciatrices, tout ça. C’est compréhensible au vue des chansons mises en avant, Drama, La chambre ou Comme un iceberg, dans lesquelles la musicienne se place en chanteuse envoûtante, en héritière des grands personnages des années 70, avec des mots précis, pesés qui font mouche, et une vibration romantique désenchantée au diapason, on est fans.

Charlotte Leclerc / Photo : Delodio.

Ces arbres cachent une  forêt, plus impénétrable, et ça serait occulter tout un pan de Drama – l’album – que de s’arrêter sur ces quelques fenêtres lumineuses – mais froides, toujours inquiétantes : on oublierait le reste de cet album principalement instrumental – c’est une surprise tant les chansons dévoilées affolait notre soif de variété spé. Des instrumentaux donc qui prennent leur temps, ne font pas fonction de remplissage, mais tracent des paysages lunaires, spacieux, agençant rythmes et textures électroniques avec sciences et volupté, sans violence. Une sorte de labyrinthe de neige d’écran dans lequel on aimerait se perdre à chercher du coup – en vain – la voix si particulière de Charlotte Leclerc. L’album nous apprend à vivre sans, à espérer la dénicher, à finir par accepter de se soumettre à ces compositions muettes. Quand finalement, elle arrive, c’est un soleil artificiel qui se lève, pour mieux se coucher au loin, dans cet horizon tracé à force de synthés domptés, et même de cordes de lumière laser (Trop tard), comme un point d’interrogation final qui conclut l’album en noir et blanc de la mystérieuse musicienne.


Moiré par Charlotte Leclerc est disponible sur le label Delodio

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