De toutes les belles lignes qui frappent durant Reward, « solitude is wrinkles in the dirt » (la solitude est les replis dans la saleté), est celle qui vient soudain tendre l’air à l’écoute de ce nouvel album de Cate Le Bon. Je me souviens d’un passage d’Idiotie dans lequel Pierre Guyotat racontait avoir pris conscience de sa puissance poétique en tentant de « rafraîchir l’air à la faveur des mots » : à mes oreilles, « solitude is wrinkles in the dirt », ça jette un froid. Du froid, il y en a pourtant peu dans ce Reward qui curieusement débute à Miami – quand bien même il n’y fut ni écrit, ni enregistré, bien au contraire – dans une luxuriante entrée au matière. Une fois les arrangements, et leur discrète étrangeté, installées, la chanteuse galloise joue du dispositif : il n’est question de la Floride qu’à l’arrivée du refrain, les couplets eux glissent l’auditeur dans un état rêveur et déconcertant qui ne s’approfondira que davantage. « Move with me » intime-t-elle lors de son introduction en territoire du rêve.
Cette zone qui s’ouvre s’élève vers de curieux espaces : on pense à un lac volant. Un repli dans la solitude. S’il y a un sujet qui se dégage des propos de la chanteuse et de ce que Mexican Summer raconte de son projet, c’est celui-ci : le glissement dans un espace où l’altérité s’efface. Ce n’est qu’alors, dans ce couloir inhabité, que naissent les chansons de Reward. Dès la seconde tentative, l’album révèle sa promesse : Daylight Matters engage un mouvement vers Kate Bush sans se départir de l’attachement au rêve initié par Miami. Plus que le présent, c’est ici l’absence qui engendre la litanie presque cruelle : « I love you, I love you, I love, but you’re not here ».
Absence, rêve et solitude sont les maîtres-mots de ce sixième album de la chanteuse. Néanmoins, l’analyse de texte est insuffisante pour lui rendre tout son mérite. La productrice du dernier album de Deerhunter – il m’intéresse d’écouter l’un après l’autre, sans ordre de préférence pour se convaincre qu’elle a plus qu’une signature – achève ici une architecture sonore qui réjouit tout à fait. Ses arrangements servent des mélodies claires (Home to you), qui se trouvent enluminées par une certaine arrogance du beau (Mother’s Mother’s Magazines) et une désinvolture à approcher le banal avec la sur-réprésentation des saxophones à différents endroits. Et pourtant, même crâneuse avec ses revendications kraut ou art-punk, Cate Le Bon finit, patiemment, par nous assurer de sa proximité. Toute son ironie, sa maîtrise manifeste, son léger ricanement (Sad Nudes) ne se trouvent jamais à entraver l’immersion en cette belle terre qu’est la solitude. Cet endroit que l’on ne peut, cette fois-ci, dire qu’il est silencieux, et encore moins, vide.
Le charmant vacarme, zig-zag magnétique, de Magnificent Gestures invoque plutôt la démesure – narcissique ? – d’être seul au monde. Quand vient le très puissant Meet the Man, on ne saurait dire comment le reste de notre journée se déroulera : brisant le rêve si posément manufacturé, Le Bon rappelle à la vie, et conclut, de la plus inattendue des innocences, « l’amour m’est magnifique ». La solitude est parfois plus habitée que la foule.