« Je n’étais qu’à l’ombre de toi,
l’ombre de moi »
Dans les interstices du métier de chansonnier se glissent régulièrement des personnalités discrètes animées par la passion, et l’amour du travail bien fait. La musique, non comme un chemin vers la reconnaissance ou le succès – s’il arrive, on ne dira pas non, mais plus comme un défi personnel. Camille Bénâtre qui définit lui-même, dans l’entretien donné à l’arrière-magasin il y a quelques semaines, ce « petit artisanat », semble fait de ce bois dont sont faites ses guitares : acoustiques, ou légèrement électriques, elles dominent Dommage, un bel album de songwriter dans une tradition intime que l’on tendrait de Paul Simon à Lilac Time par exemple ou par ici du côté de Maxime Le Forestier, Yves Simon ou Julien Baer.
L’intimité, Camille semble y tenir, lui qui confie certaines batteries de son disque à sa sœur Louisa – et à son groove bien à elle – sur plusieurs morceaux. Intimité aussi dans les compositions folk qui égrènent ses états d’âme (L’ombre de moi, superbe ou Il est maintenant trop tard pour te dire que je t’aimais), revêtues de tons automnales, mais pas que, puisque Camille avoue s’être ouvert au monde qui l’entoure au point de toucher du bout des doigts une certaine idée de la protest song, avec Stupidémocratie – une traduction valable du fameux néologisme Idiocracy ? (et son solo de scie musicale), ou avec d’autres textes aux préoccupations écologiques : « J’ai l’impression d’avoir été jusque-là assez imperméable à des problématiques politiques dans mes chansons, et j’étais probablement assez autocentré, et là, les confinements aidant, et le fait de vivre une partie du temps en Suède, j’ai pris le temps d’observer un peu plus ce qu’il se passe dehors (quasiment au sens propre) pour aborder d’autres sujets. »
C’est dans un mélange d’intimité et de constat plus général que le chanteur excelle quand les deux niveaux se croisent et que l’état d’âme déborde dans le politique, mais l’équilibre est fragile, et des petites victoires comme Même les dieux nous envient notre temps limité se savourent. Dans la musique aussi, la douceur folk croise parfois des moments d’aspérité et on aime bien ces moments avec des feelings légèrement imprévus : une étincelle Bolanienne qui affleure dans le parfaitement balancé Sans terre et sans roi, et le single imparable qui file droit Dans ta direction. A force de papillonner avec ferveur et curiosité dans les marges des marges, des musiques du bruit aux musiques du rythme, on en avait – presque – oublié le caractère prévenant d’un peu de classicisme, la joie simple d’une mélodie à siffloter et de mots à chantonner, Camille Bénâtre arrive à point pour une bonne piqûre de rappel.