« Butthole Surfers, The Hole Truth and Nothing Butt » de Tom Stern

Butthole Surfers, 1985 / Photo : DR
Butthole Surfers, 1985 / Photo : DR

Musical écran #11 Bordeaux Rock 2025Bien avant Primal Scream et un peu au même moment que New Order, le groupe Texan ZZ Top a su lui aussi faire un salutaire rapprochement entre la musique rock et la techno. J’espère que tu as bien de l’urticaire à lire ceci. Sauf que c’est rigoureusement vrai. Eliminator est sorti le 23 mars 1983, soit à peine 4 mois après Thriller de Jacko et précisément 16 jours après Blue Monday. Mais tu dois foncièrement te dire que le Texas c’est sympa comme tout et que ces sympathiques chantres du heavy blues aux systèmes pileux revendiqués ne sont finalement que la partie un peu fun d’un état rétrograde et miné par un conservatisme rural arriéré. Je pense, mon petit bonhomme que tu n’es pas au bout de tes peines.

C’est précisément parce que le Texas est un état libre de ses pensées (et donc gangrenée par la pire version d’un conservatisme désormais ouvertement fasciste) que les plus belles et toxiques libérations ont pu y avoir lieu. Des 13th Floor Elevators à Daniel Johnston, pour rester dans les généralités, les gens qui se plaçaient autrement ou n’avaient aucune place sur l’échiquier ne peuvent venir que de là. Alors les Butthole Surfers, c’est encore plus impressionnant. Et c’est ce que ce documentaire raconte assez brillamment. En fait non, c’est le meilleur documentaire sur un groupe « de rock » que j’ai vu depuis un moment. Le sujet le vaut largement. Parce que Butthole Surfers est un groupe que je n’ai jamais vraiment compris quand j’y ai été confronté pour la première fois. Première réaction : c’est pas bien et c’est complètement débile. Oui, parce que en un sens, Butthole Surfers, ça n’est compréhensible par les gens qui sont dans le groupe. Une secte de troupeau de bufflonnes défoncées qui ne sont pas là pour faire plaisir. Des types qui n’ont rien à faire là, un butor capitaine de l’équipe de basket (King Coffey) et qui à peine sorti de la fac se voit sacré meilleur gestionnaire de portefeuille de l’état mais trop porté sur la boisson et le LSD rencontre d’autres dirons-nous « marginaux » qui auront le génie de ne jamais choisir entre le bruit, la vitesse ou le psychédélisme. Paul Leary d’abord. Lassé au bout de 15 jours de la scène punk/Hardcore et qui va chercher mieux. Sous l’emprise du précédent et de toutes les putains de roupes disponibles sur place, il restera jusqu’au bout. Parce que c’est peut être le point le plus inouï de ce documentaire, dans un bordel indescriptible fait de feu, d’énormément de drogue(s), de foutre et de bruit, au final les Butthole Surfers ont fait carrière. Et ont même décroché un numéro un au Billboard avec une parodie de Beck intitulée Pepper en 1996.

Mais revenons au début, leur premier EP sort en 1983 chez Alternative Tentacles, le label de Jello Biafra des Dead Kennedys. Que Kurt Cobain avait placé assez haut dans les disques essentiels à sa constitution. Kurt Cobain qui rencontrera d’ailleurs sa némésis et aussi l’amour de sa vie (Courtney Cœur) précisément à un concert des Butthole Surfers et de L7 en 1991.

J’en ai déjà marre d’essayer de vous raconter ce que le documentaire de Tom Stern narre très bien, se basant sur les personnages et sur la chronologie des faits. Beaucoup de témoignages aussi, des sempiternels Thurston Moore, Steve Albini, et Dave Grohl à Flea en passant par les plus imagés Dean Ween (Ween), Wayne Coyne (Flaming Lips) et même John Paul Jones (le célèbre bassiste du groupe Led Zeppelin) qui a tenté de produire un de leur disques. Du coup, je vais vous livrer quelques faits fondamentaux, présents ou non dans la narration de ce film d’auteur, émaillé d’un certain nombre d’animations ludiques*. South Park et Beavis & Butt-Head ne sont pas loin, non, ils sont très loin mais ils pourraient tout aussi bien venir de là, en fait.

Alors il y a une seule femme, Teresa « Nervosa » Taylor, doublure batterie de King Coffey, l’autre batteur. Elle apparaît sur l’affiche de Slacker de Richard Linklater (1990) où elle joue le rôle d’une paumée qui essaie de refourguer contre de l’argent des analyses de frottis de Madonna (authentique). C’est aussi malheureusement le seul personnage de l’histoire qui est mort à ce jour.

Kramer (Ball, Shimmy Disc) est devenu leur bassiste pour une tournée européenne. Quand Daniel Johnston passera des cassettes home made lofi aux vrais disques ce sera sur Shimmy Disc. Et quand au terme d’une absurde lutte de connards il finira par signer chez Atlantic, c’est Paul Leary qu’on appellera pour essayer de pacifier les choses et de produire l’album Fun (1994) dont il ne se vendra que 5800 copies l’année de sa sortie .

A un moment, le groupe a tenté de vivre ensemble en communauté dans un « ranch » à 50 km d’Austin, Texas. Ce Driftwood Ranch fut mis en vente il y a quelques saisons pour la modique somme de presque un million de dollars. Sachant qu’il s’agit de trois cahutes sans confort particulier et de quelques acres de terrains boisés, idéal pour se cacher des flics.

Gibby Haynes chante sur Jesus Built My Hotrod de Ministry. Il fait aussi un caméo en 1995 dans Dead Man de Jim Jarmusch (un type hébété surpris en pleine fellation au fond d’une allée) et en 1997 dans Nowhere de Gregg Araki. Il a fait un groupe avec ses potes sobres Flea et Johnny Depp, le groupe s’appelait P. Ils étaient à l’affiche du Viper Room le soir de la mort de River Phoenix. En fin de visionnage, dans le genre gourou malaisant, on a tendance à préférer Don Van Vliet voire Mark E Smith.

Reste mon préféré, King Coffey, le seul ouvertement gay déjà. Et qui a investi ses revenus dans la fondation de deux labels essentiels pour le rayonnement du Texas dans notre monde. Trance Syndicate qui a sorti Bedhead, Windsor For The Derby, Roky Erikson, Stars Of The Lid et …And You Will Know Us By The Trail Of Dead. Emperor Jones également, qui révéla The American Analog Set et surtout sortit le meilleur album des Mountain Goats, All Hail West Texas en 2002. Ce disque comprenant aussi le meilleur morceau du groupe de John Darnielle (ex aequo avec See America Right) : The Best Ever Death Metal Band In Denton.

Et peut-être qu’à mon âge avancé je vais enfin pouvoir écouter sérieusement ce formidable groupe vraiment dangereux. Et un peu débile. On le serait à moins.


Butthole Surfers, The Hole Truth and Nothing Butt de Tom Stern sera diffusé dans le cadre du festival Musical Ecran ce dimanche 9 novembre à 19 h 30 au Théâtre Molière à Bordeaux.
* Un peu comme dans le documentaire scandaleusement moisi sur Kurt Cobain, Montage Of Heck, mais en bien mieux.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *