Le clin d’œil est évident, appuyé. Il semble s’être niché jusque dans l’infraction délibérée à l’ordre alphabétique – Stephen Stills n’aurait jamais supporté, dixit les mauvaises langues, de se trouver mentionné après ses deux camarades – et même dans cette pochette où, comme sur le fameux canapé photographié par Henry Diltz en 1969, les silhouettes sont placées à l’inverse du sens commun de la lecture – Crosby à droite, Nash à gauche. Comme chez CSN donc, chacun des membres du trio apporte ici sa contribution personnelle à l’édifice – trois chansons chacun et un instrumental collaboratif pour arrondir à la dizaine – et l’harmonie vient par surcroît. Une différence de taille cependant dans cette version britannique et contemporaine du super-groupe réuni autour du feu de camp : Bernard Butler, Norman Blake (Teenage Fanclub) et James Grant (Friends Again, Love & Money) ont accumulé, séparément, trop de décennies d’expérience musicale pour songer à trimballer leurs egos et leurs frustrations passées dans la corbeille de ce mariage tardif. Né du désir simple de prolonger dans un disque la joie des moments partagés sur scène depuis 2022, Butler, Blake & Grant apparaît ainsi comme un album profondément tranquille, apaisé, dépourvu de toute forme de tension audible ou d’émulation conflictuelle. Aucune trace ici de ces frictions sublimes qui font aussi la matière des chefs d’œuvres. Rien qu’une collection de morceaux acoustiques qui procure ces plaisirs plus modestes – mais pas négligeables pour autant – qui surgissent parfois dans les petits instants de communion amicale, aussi jouissifs et éphémères qu’un apéritif de printemps.
Dans ce contexte de sérénité rassurante, chacun est autorisé à exprimer librement ses talents singuliers. Blake s’est chargé, comme de bien entendu, de composer les mélodies les plus relevées et les plus mémorables, démontrant au passage ce dont on s’était déjà convaincu depuis longtemps. A savoir qu’un tiers – ou désormais une moitié – d’un album de Teenage Fanclub tous les quatre ans environ, c’est bien trop peu. Il y a du tube en stock, c’est certain. Resurgis des tréfonds de ses tiroirs – ou plutôt des dossiers de brouillons qui trainaient dans son téléphone – Bring An End, Down By The Sea (où on l’entend même fredonner une bribe de mélodie qui ressemble à s’y méprendre à Mother’s Nature Son des Beatles) et Writing’s On The Wall brillent de cet éclat mélancolique et familier. De son côté, Grant fait preuve d’un talent d’interprète assez inattendu – pour qui n’aurait conservé, en tous cas, qu’un souvenir assez imprécis de ses œuvres soul et pop de jeunesse – dans un registre folk plus sombre. Quant à Butler, il démontre une fois encore que, quelles que soient les réserves qu’on a pu légitimement entretenir sur sa discographie solo, il excelle toujours dès qu’il s’agit de mettre en forme et en valeur les projets collectifs. Ses guitares se glissent pertinemment dans les interstices, sans empiéter le moins du monde sur l’espace vital de ses camarades. Quelques-uns de ses arrangements de cordes, plus amples, confèrent même un relief – et un intérêt inattendu – aux compositions les moins fortes (The Old Mortality). Et il signe même l’un des meilleurs titres de l’album – The 90s – dans lequel on saisira au passage quelques piques à double-sens qui, manifestement, ont aussi pour fonction de solder ce qui demeure des vieux comptes avec Suede en général et Brett Anderson en particulier – « You were always the first to say that I was wrong./We’ve been loving the 90’s for far too long. », à bon entendeur… Dépourvu de toute prétention superflue, Butler, Blake & Grant semble donc n’avoir été conçu que pour la meilleure des raisons : exprimer en une poignée de chansons collégiales le plaisir communicatif du jeu commun.