On ne l’a pas tout de suite su, mais c’était là dès le début. Dès l’achat de The Gift de The Jam (au printemps 1982, après le concert à Amsterdam diffusé dans l’émission Mégahertz d’Alain Maneval) et l’une des photos de la pochette intérieure – une photo bleutée où un type réalisait une sorte de figure acrobatique ; dès le premier album de Dexys Midnight Runners aussi, les hommages à Geno et bien sûr, la reprise – dont on a mis du temps à apprendre que c’était une reprise. Et ensuite, c’est revenu comme un ressac au fil des ans, des clins d’œil, des hommages, un titre, un nom, un état d’esprit. Paul Weller – que reprend d’ailleurs Brooke Combe avec brio – comme chef de file, à la tête du Style Council puis en solo. The Verve et son deuxième album qui portait un titre sans ambiguité. Le single incroyable de Contempo, U B Naughty, les samples de Spearmint, les clins d’œil de Pulp ; Doves et le nom du label où tout a commencé – Casino –, la réinvention de Texas – et la culture du bassiste Johnny McElhone, n’en déplaise à beaucoup –, les plaisirs simples de Tindersticks… Mais tout le reste aussi : Tainted Love de Soft Cell, le set DJ de Bob Stanley – je crois que c’était en 2002 – au Pop In (notre Casino à nous, justement), les coups de cœur de Birdie, l’une de mes toutes premières playlists pour Les Vinzelles – intitulée Hit The North(ern soul) – que j’avais d’ailleurs imaginée pour tenter d’impressionner l’une des deux patronnes…

J’ai mis du temps à comprendre que la northern soul n’était pas un genre musical à part entière mais avant tout un état d’esprit, un lieu, une passion. Celle de jeunes gens, hommes, femmes, qui ne viv(ai)ent que pour le week-end, la musique, les nuits blanches passées à danser comme pour mieux oublier un quotidien un peu trop gris – la mine, l’usine, les docks et autres petits boulots, les amours qui grincent et l’équipe de foot qui n’est, bien sûr, jamais à la hauteur… La northern soul, ce sont donc ces 45 tours soul américains choisis méticuleusement par les DJ britanniques, parus sur des labels plus ou moins reconnus – Tamla Motown et Stax certes, mais aussi quelques autres parmi lesquels Chess, Ric-Tic ou VeeJay… La northern soul, ce sont des pas de danse qui vont ressembler de plus en plus à des acrobaties, ce sont des fringues étudiées pour favoriser et permettre les figures les plus incroyables – tee-shirts ou marcels, pantalons d’une largeur dingue, jupes longues, chemisiers plutôt amples, paires de baskets ou mocassins aux pieds – sur le parquet de ces salles du nord de l’Angleterre (Wigan, Bolton, Manchester, Bury, Preston et quelques autres). Musique extraordinaire pour gens ordinaires, la northern soul et son logo légendaire – un poing levé, comme un signe de rebellion (contre quoi ? L’uniformisation d’une société et la possibilité qui reste d’y échapper peut-être) – occupent une place moins centrale aujourd’hui, symbolisent moins la possibilité d’une lutte contre un quotidien mortifère mais leur héritage est toujours là et trouve – comme tant d’autres genres musicaux aujourd’hui – sa légitimité dans le renouvellement de son public. Et de ses acteurs.
Ça tombe bien : voici donc Brooke Combe, une jeune femme née en Écosse et découverte l’autre jour gré de pérégrinations Internet (et la même semaine où j’ai enfin commencé le livre d’Andrew O’Hagan, Les Éphémères, qui, je crois, a été spécialement écrit pour moi et met en scène une poignée d’amis… écossais), qui du haut de ses 23 ans est bien décidée à conjuguer ce passé au présent. Je ne sais pas tant de choses que cela à son sujet et c’est sans doute mieux ainsi – trop d’infos biographiques pourraient après tout influer la façon d’appréhender ce premier véritable album alors que sa première écoute a suffi pour se dire qu’il fallait à tout prix en parler, décrire son élégance naturelle, cette flamme qui ne s’éteint jamais – même si elle vacille parfois. J’imagine que certains puristes auront beaucoup à redire au sujet de ces chansons qui ont ce pouvoir dingue de rendre nostalgique d’une époque qu’on n’a pas vraiment vécue – ils diront sans doute qu’elles sont trop respectueuses, pas assez aventureuses… Je ne sais pas et en fait, je n’en ai pas grand chose à faire. Produites par l’éminence grise de The Coral James Skelly et arrangées par le toujours brillant Sean O’Hagan – mais qu’on croise rarement dans un exercice de style aussi soul –, ces dix chansons et leur Prelude sont au-delà du simple hommage autant de rendez-vous avec la possibilité de se dire que tout n’est pas fichu, avec l’envie d’en (re)découdre et avec surtout, la certitude qu’il y a des morceaux dont la mission ne fait aucun doute : redonner des couleurs à un monde qui en perd un peu plus chaque jour. Que ce soit dans les exercices au tempo enlevé – les absolument parfaites This Town, The Last Time (qui sonne à chaque fois comme un inédit parfait de Rita And The Tiaras) et Lanewood Pines (les chœurs et les cordes, comme antidote absolu à la morosité) – ou dans les mélodies empreintes d’une mélancolie radieuse – Shaken By The Wind ou Pieces (l’ombre de Dusty et Dionne, jamais loin) –, Brooke Combe s’inscrit avec brio dans la lignée de ces artistes britanniques néo-soul (Michael Kiwanuka, Lianne La Havas ou Olivia Dean – mention spéciale pour son très bon The Art Of Loving) et signe surtout – malgré une pochette un peu bâclée – un album essentiel, pour la simple et bonne raison qu’il est un de ces rares disques qui laisse croire que oui, tout finira bien.
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