
De quelle façon aborder un tel monument ? C’est une question qu’on s’est posée ici. C’était perdu d’avance, presque tout a été écrit, et parfois même en avance, mais on s’est dit qu’on allait faire comme ça : s’appuyer sur les petites histoires qui nous ont touchés sur les réseaux, libérées dans la foulée de la disparition de Brian Wilson la semaine dernière, avec des interludes, réminiscences de nos obsessions, regroupés sous le titre trouvé dans une folle inspiration par notre confrère Etienne Greib. Des grains de sable qui jonchent la plage de légende que foule dorénavant quelque part le musicien californien, pour l’éternité. (RS)
Titre : Etienne Greib
De California Gold à Pet Sounds, par David Jégou
Avant de lire le numéro des Inrockuptibles de l’été 1992 consacré aux Beach Boys, ces derniers étaient dans mon esprit un groupe de Surf Music. Cette image était renforcée par le seul disque que je possédais d’eux, la compilation California Gold, The Very Best Of The Beach Boys. Au centre l’horrible pochette, dont seuls les graphic designers de l’époque avaient le secret, se trouvait une photo récente d’un surfer en pleine action qui aurait aussi bien pu servir à une publicité pour désodorisant de toilettes. La lecture des inrocks m’a dévoilé une toute autre facette du groupe, mais surtout de Brian Wilson, décrit comme un génie absolu, aux ambition folles qui, comme certains autres, y a laissé sa santé mentale. Et à l’époque, ce que les Inrocks disaient ne pouvait être que vrai. Dès que mon argent de poche le permettait, j’allais au Continent de Vannes acheter un CD « half price » regroupant deux albums des Beach Boys. Le premier fut Smiley Smile / Wild Honey. Les portes d’un autre univers musical se sont ouvertes à moi dès la première écoute. Mais comment un groupe pouvait produire des chansons aussi belles que parfois barrées, dont il semblait impossible de découvrir toutes les richesses sans les écouter au minimum une cinquantaine de fois ? La plus grosse claque viendra quelques mois plus tard, probablement en 1993 lorsque je mis la main sur Pet Sounds. Ce disque ne pouvait pas avoir été enregistré par un être humain. Son compositeur ne pouvait venir que d’une autre planète. Car c’est ce qu’était finalement Brian Wilson, un compositeur d’une autre dimension, un des seuls véritables génies à avoir apporté quelque chose de différent au monde de la musique. Et c’est pour ça que le 11 juin 2025 restera le jour le plus triste de l’histoire de notre musique.

Interlude 1 Melody Dog, Don't Worry Baby
Night bloomin’ Jasmine, par Danny Wilde
Facebook, 12 juin
L’album de 88 est souvent une souffrance à écouter (le gap entre le clinquant d’ensemble et la faiblesse de l’interprétation n’a jamais été aussi grand, jamais, nulle part : c’est donc d’une totale étrangeté, et ça met infiniment plus mal à l’aise que l’intégrale de Daniel Johnston), mais le passage Night bloomin’ Jasmine, c’est incomparable. On devine que cette mélodie a dû obséder Brian Wilson, qu’il a dû s’en réveiller la nuit, qu’il ne pouvait plus s’en débarrasser. Et de fait, quand on aura oublié tout le reste, quand on sera bouffé par Alzheimer, c’est sûr qu’il y aura toujours Night bloomin’ Jasmine quelque part dans un coin du cerveau. Le genre de mélodie fantôme qui revient toujours vous hanter, d’autant plus prégnante qu’elle n’a aucune justification ni raison d’être dans « l’économie générale d’une chanson » (quoi que cela veuille dire : à l’évidence pour Wilson, toutes ces règles non écrites de la composition, néanmoins totalitaires, n’existaient pas).
Interlude 2 Jerry Thackray, God Only Knows (Facebook, 12 juin)
Une douleur exquise qui semble à tous intime, par Jean Pop Deux
Facebook, 12 juin
Ce qu’a apporté Brian Wilson à la musique pop, au-delà ou en parallèle à la complexité musicale – argument paresseux dont je me méfie car il peut servir à dévaluer ce qui doit rester pour moi la qualité première de cette musique, la clarté, et à se gausser de la pop d’avant Pet Sounds, intouchable selon moi, et dont Brian Wilson a lui-même été un architecte exemplaire-, mais autre chose de plus sensible, cette ferveur exacerbée, cette ingénuité désarmante avec laquelle Brian Wilson s’est emparé des thèmes adolescents de la pop, non pas pour les transcender (c’était déjà fait avant son arrivée, depuis au moins le couple Bryant, quoiqu’en disent les tenants mal renseignés de l’auteurisme) mais au contraire les atténuer, les miniaturiser, leur insuffler une gracilité frémissante, et in fine les extraire du commerce et de l’industrie. Une douleur exquise qui semble à tous intime.
Le jour où j’ai rencontré Brian Wilson, par Francis Dordor
Facebook, 13 juin

Le jour où j’ai rencontré Brian Wilson. A voir ma tête, j’avais dû fumer la barrette entière et dormi dans la niche du chien. Son sourire à lui, pas vraiment un smile, un rictus. Le polaroïd a été pris par un blondinet, un de ceux qu’on appelait les « surfer nazis ». Ils étaient deux à encadrer Brian, mandatés par le docteur Eugène Landy, le psy qui à l’époque « gérait » Brian, sa carrière, sa santé mentale, son régime alimentaire, son pognon. Le surfer nazi avait pris un pola puis un autre pour le « dossier », des fois que l’article soit pas « conforme ». Je me souviens plus de l’interview ni du papier mais tout ce qu’on voit de l’emprise dans le film Love & Mercy est vrai. Il y a quand même eu ce moment où il a évoqué sa relation avec son père et avec son cousin Mike Love. L’armure de l’artiste en promo s’est fendue pour laisser sourdre une douleur jamais tarie.
J’ai revu Brian des années après. Sur la scène de l’Olympia cette fois, accompagné par les Wondermints. Un super concert où j’avais beaucoup pleuré. En fait j’avais commencé à chialer juste avant d’y aller en écoutant l’hommage que John Cale lui rend sur l’album Slow Dazzle (ou Helen of Troy, je sais plus [Il s’agit de Slow Dazzle, ndlr]). La chanson s’appelle Mr Wilson. Un Velvet qui dit merci à un Beach Boy ! Le feu qui s’agenouille devant l’eau. Voilà qui peut éclairer celles et ceux qui ne l’ont pas connue, sur l’esprit d’une époque. Là, je sais pas, c’est parti d’un coup, les larmes d’un gosse. Comme si Cale faisait résonner une corde qui n’avait plus vibré depuis l’âge tendre, remontant tout ce que Brian a instillé en nous… muer nos insécurités en un havre inaccessible. Nous aidant aussi à comprendre qu’on était désormais tous orphelins, bel et bien chassés de ce paradis-là, de cet Eden pour culottes courtes, que le manège enchanté était à jamais hors-service et ça bien avant que celui à la manœuvre pour le faire tourner ne s’en aille.
Interlude 3 Les Beach Boys par Vincent Vanoli![]()
Les recoins sacrés de l’enfance, par Alex Melis
Facebook, 11 juin
Je ne dois pas avoir beaucoup d’ami(e)s qui ne connaitraient pas – ou alors mal – les Beach Boys (ou qui auraient miraculeusement échappé à mon prosélytisme) mais s’il en est, je leur dédie cette playlist, conçue pour découvrir un peu l’œuvre immortel de Brian Wilson. C’est une sélection très subjective et délibérément succincte, illustrant surtout les aspects qui me touchent le plus chez Brian : la célébration de la candeur et de la fragilité, de la rêverie, la recherche du réconfort et de la consolation dans les recoins sacrés de l’enfance, la difficulté d’être au monde et de s’y sentir souvent seul et puis, comme en symétrie, l’euphorie quand on croise la beauté et l’amour. J’espère que ça vous touchera, moi ça a bouleversé ma vie.
Le tournant fatal, par Renaud Sachet
Puisqu’il est beaucoup question d’enfance, dans les hommages à Brian Wilson, une enfance sacrifiée sur l’autel du don à cultiver coûte que coûte (salut Michael), je me suis rappelé que mon premier contact avec la musique de Brian s’est aussi fait durant l’enfance. Je dirais entre 1979 et 1981, parce que je n’arrive plus à me rappeler quand a été diffusé ce téléfilm, mais j’ai dû le voir entre 8 et 10 ans. Sur l’antenne 1 ou l’antenne 2, je ne sais plus non plus. Le contexte : j’étais malade et je devais passer la journée seul à la maison. A la télé, dans l’après-midi, ils passaient des téléfilms US, doublés bien sûr. Et je suis tombé sur Le tournant fatal (The Deadman’s Curve), sans doute un peu enfiévré, drapé dans ma robe de chambre bleue laineuse, enfoncé dans le canapé brun du salon. Je n’écoutais pas grand chose à la maison, si ce n’est la radio, et disons que je n’avais aucune culture musicale, si ce n’est les compilations bleues et rouges des Beatles de mes parents. L’influence du grand frère se fera un peu plus tard. Je fus fracassé par ce téléfilm qui racontait l’histoire de Jan & Dean. Deux petits doo wop transformés en beach boys pour le coup, des vrais, dont un incarné par Richard Hatch (qui jouait dans Les Rues de San Francisco et dans Galactica aussi). L’histoire romancée s’appuyait sur l’histoire cabossée du duo pour teenagers : alors que le succès était de plus en plus grand, Jan s’encastra en caisse et dût abandonner sa carrière de chanteur (à cause des séquelles de l’accident). Leur musique me poursuivit longtemps, jusqu’à beaucoup plus tard quand je fis le lien avec les Beach Boys, puisque le répertoire de Jan & Dean était en partie constitué de reprises ou de morceaux originaux composés par Brian, enfin je crois. Cette musique (les Beach Boys du early sixties) pop surf avait cette capacité à mettre en valeur cette mélancolie tout en restant entraînante, je compare ça pas mal aux Jackson 5, on sent, malgré l’enjouement, la gaité justement surjouée, une tristesse, une fêlure qui s’insinue dans ce ronronnement de moteurs de petits dragsters qui filent tout droit en battant des records de vitesse (2 minutes max). Dans mon canapé, j’étais embarqué dans cette Californie fantasmée, sans le savoir, et je rencontrais l’univers d’un autre enfant, c’était celui de Brian, et je ne le savais pas encore.
Interlude 4 Pet Sounds par In Felt We Trust
Allons surfer avec Brian Wilson !, par Danny Wilde
Facebook, 12 juin
Archive SNL : même au fond du trou (ou peut-être à cause de ça), il se prêtait à ce genre de blague pendable. Est-ce le jour où Annie Leibovitz a pris la photo iconique pour Rolling Stone ? Au niveau des dates, ça colle.
La bataille du siècle, par Jeff Feuerzeig

Instagram, 12 juin
Nous sommes en 1990 et je suis à Boston, en train de tourner des interviews pour mon premier long métrage indépendant, un documentaire intitulé Half Japanese : The Band That Would Be King. J’entre dans l’appartement de Phil Milstein, fondateur de la Velvet Underground Appreciation Society et éditeur du zine What Goes On. Phil est également un fin connaisseur de Half Japanese et des deux frères qui en sont à l’origine, Jad et David Fair. En entrant dans le salon de Phil, je suis stupéfait par la vue d’une grande toile représentant le légendaire lutteur George « The Animal » Steele, avec sa langue verte resplendissante en peinture acrylique, posée sur le plancher. Je n’arrivais pas à croire que Milstein, apparemment un fin connaisseur des arts, dépréciait cet objet exquis en l’utilisant comme tapis d’appoint. Pour ne rien arranger, alors que je piétine la pauvre chose, je reconnais le style de David Fair, l’un des sujets de mon film !
Half Japanese avait récemment écrit et enregistré un superbe cycle de chansons motivées par leur obsession pour les combattants haut-en-couleur du catch professionnel de la WWWF, et aujourd’hui WWE. Des chansons – tour à tour joyeuses et amères – comme Something New In The Ring, The Terminator, Face Rake, King Kong Bundy, How Many More Years et ma préférée, George “The Animal” Steele – dans laquelle l’Animal « met le feu à ses propres cheveux » – étaient irrésistibles pour un jeune passionné de musique et de catch comme votre serviteur.
Ce que Jad et David avaient compris du catch professionnel, c’est qu’il s’agissait d’une métaphore du rock’n’roll des années 60, en gros, une bagarre de groupes. Et pour David, il fallait que ça s’exprime sur disque et sur toile. Il a orienté ensuite ses peintures de combat vers la boxe. Cette phase de sa carrière artistique allait devenir la plus importante, avec sa peinture d’Elvis Presley recevant un uppercut tranchant de son propre frère Jad, décidément outsider, qui ornait l’album de Half Japanese qui allait donner son titre à mon film. La quatrième de couverture montre le résultat final du combat, le « King » étant détrôné par Jad Fair par KO.
En 2000, Brian Wilson est en tournée aux États-Unis pour présenter son chef-d’œuvre, Pet Sounds. Des amis me préviennent : les concerts étaient parfois réussis, parfois ratés, et je décide de tenter ma chance au Garden State Arts Center à Holmdel, dans le New Jersey, un amphithéâtre en plein air situé là où j’avais grandi.
Assis à un clavier électrique, Brian est pleinement présent ce soir-là, et son jeu et son chant sont excellents, ce qui inspire son groupe de musiciens hors pair à atteindre des sommets magiques. Au moment du rappel, après la partie du programme consacrée à Pet Sounds, Brian revient sur scène avec une Fender Bass blanche et se lance dans In My Room. Il a l’air d’un ange, debout, chantant cette belle chanson qu’il a écrite quand il était adolescent, et je ne peux m’empêcher de penser aux images du jeune Brian Wilson de 1963, au visage de chérubin. En fait, j’ai flashé sur le TAMI Show, dans lequel Brian, vêtu d’une chemise bleue rayée à manches courtes et chaussé de mocassins, joue de la même Fender Bass blanche, avec un langage corporel identique à celui de ce soir. Le grand Gaylord Fields (DJ de la WFMU) m’accompagne ce soir d’été dans le New Jersey, pour vivre ce rêve devenu réalité. Les larmes coulent. Le public est debout, nous sommes tous en train de nous effondrer. C’est très émouvant de voir Brian, sachant ce qu’il a traversé, chanter et jouer cette musique d’un autre monde, une musique qui nous a tous profondément touchés.
Au début de la tournée Pet Sounds, Brian avait donné quelques interviews promotionnelles, dont une pour Index, une publication artistique sur papier glacé. J’avais passé d’innombrables heures plongé dans le catalogue des Beach Boys et lu tous les livres disponibles sur eux, mais dans cette interview, Brian mentionne quelque chose d’entièrement nouveau pour moi :
Brian : Phil Spector, c’est Dieu.
Index : Vraiment ?
Brian : Oui, je crois en lui et en ses disques. Et j’ai aussi beaucoup appris de lui. Tout le monde sait que je crois en Phil Spector. Tout le monde le sait. Pet Sounds, c’était P.S. – ce sont les initiales de Phil Spector ! C’était comme une façon d’exprimer sa musique à travers moi, mon interprétation de sa musique. C’était donc vraiment un grand album.
Cette révélation m’a inspiré une idée, et j’ai appelé David Fair. Je n’avais jamais réussi à oublier sa peinture de George « The Animal » Steele. Je demande à David s’il accepterait de me commander un autre tableau de sa série sur la lutte. En créant Pet Sounds, Brian Wilson était comme tant d’autres grands artistes, qui accèdent aux profondeurs de leur créativité en s’engageant dans des combats de catch avec leurs héros. Je désirais ardemment voir Brian Wilson se battre avec Phil Spector, essentiellement dans le cadre d’un combat du siècle. J’ offre 1000 dollars à David Fair pour qu’il mette cette image sur toile.
Flatté et enthousiaste, il commence à chercher des photos des deux hommes. Le plus difficile est de trouver les images parfaites pour représenter Brian Wilson, de l’époque Pet Sounds (1966), avec sa chevelure emblématique, et Phil Spector, de l’époque du Tycoon of Teen (1963), avec ses lunettes en forme de diamant. Au cours des mois suivants, David soumet des études à mon approbation. Bien que je sois heureux et encouragé par la direction qu’il prend, il finit par m’informer qu’il n’est pas satisfait de ses interprétations des deux figures centrales. David me révèle alors qu’il ne peint plus à l’acrylique et qu’il est passé à d’autres techniques. Il me dit : « Je ne peux pas aller de l’avant avec cette commande si elle n’est pas parfaite ». Je comprends et respecte la position de David – lui aussi est aux prises avec un héros – mais je suis déçu, et nous convenons de laisser tomber le projet.
Dix ans plus tard, je reçois par la poste un tube en carton de David Fair. Je l’ouvre, j’en fais glisser le contenu et, à ma grande surprise, je trouve un dessin au fusain et au crayon très détaillé de Brian Wilson luttant avec Dieu sous sa forme terrestre, Phil Spector ! Tous deux sont vêtus de maillots de sport moulants qui rappellent le catch professionnel des années 1960. Le puissant Brian soumet Phil par étranglement. Le bras du producteur est tordu douloureusement derrière son dos, alors qu’il est forcé à abandonner. Brian Wilson a vaincu son héros. Le dessin est exactement comme je l’avais imaginé. Mais comment pourrait-il en être autrement ? David Fair est connu pour ses peintures dans lesquelles il utilise son pouvoir de perception extrasensorielle pour lire dans l’esprit du commanditaire. Je n’aurais pas pu aimer davantage cette œuvre.
Je cours à mon bureau, sors mon chéquier et fais un chèque de 1 000 dollars à David Fair. En me rendant à l’atelier d’encadrement, je le mets dans la boîte aux lettres avec un immense mot de remerciement. Aujourd’hui, c’est à Brian Wilson que j’adresse cette immense gratitude, pour la musique magnifique et inspirante qu’il nous a donnée à tous.
Interlude 5 The Jesus And Mary Chain, Surfin' USA
Il m’a dit que je serais numéro 1 dans le magazine Motor Trend !, par April March
Instagram, 13 juin

Brian m’était si cher. il n’y a pas de personne créative, de musicien, d’arrangeur, de producteur, de chanteur, de mentor que j’aie jamais admiré autant. je l’aimais tout simplement.
J’ai passé une grande partie des années 92-96 avec Brian et Andy Paley. ils avaient commencé à rêver d’une société de production et en 94, ils étaient devenus sérieux. la liste des artistes était composée de Brian et Andy, des Beach Boys, de Danny Hutton et d’April March. J’ai trouvé très drôle de faire partie de ce roster, mais cela témoigne de l’incroyable confiance que Brian avait en moi. La première fois que nous avons enregistré ensemble, c’était avec Andy au studio de Mark Linett. Quand j’ai commencé à chanter, il m’a dit qu’il ne savait pas s’il devait sauter en l’air ou quoi, tellement il aimait ma voix. Il m’a dit que nous vendrions plus de disques que Madonna et que je serais numéro 1 dans le magazine Motor Trend !
Nous nous sommes tellement amusés en studio et en dehors. Chaque fois qu’Andy était au téléphone avec Brian, il me passait le téléphone et Brian me demandait quand nous allions enregistrer à nouveau ! J’enregistrais Chick Habit et mes propres chansons en même temps qu’Andy et lui faisaient leurs trucs au studio de Mark Linett. C’est là que j’ai appris toute la magie de Brian en matière d’enregistrement et d’arrangement, simplement en regardant ce qu’ils faisaient.
Un jour, après avoir enregistré les cuivres sur Chick Habit, j’ai dit à Brian que je trouvais que l’arrangement des cuivres n’était pas assez percutant. Il m’a répondu d’ajouter ma voix ! Lorsque le double 45 tours est arrivé chez Sympathy Records, il était très fier de moi. Si vous entendez de la confiance dans ma voix, c’est parce que Brian l’y a mise… et le piano… Personne ne frappait les touches de la façon dont il le faisait. Où que nous nous trouvions, chez lui, chez Andy, dans une salle de spectacle, au studio, Brian finissait par se mettre au piano et me demandait ce que je voulais qu’il joue pour que je puisse chanter pour lui. Alors quelle chanson lui demanderais-je de jouer aujourd’hui ? Parce que je suis sûre qu’il a trouvé un piano, là-haut au paradis.
Washington, capitale de la Californie, 1980, par Renaud Sachet
Mon concert préféré de l’année, il s’est déroulé en 1980 à Washington. Avec les Beach Boys qui jouent pour de vrai, avec cette science de la musique américaine (r’n’b, rock’n’roll) devant une foule immense. Des adolescentes légèrement vêtus vivent leur Woodstock, safe for the kids, avec les yeux perdus dans le vague de la poudre de Quaaludes. Incroyable set à la fois surmaîtrisé – les harmonies incroyables – et complètement cool, garage, répé, Denis possédé comme le batteur du Muppet Show, aux bras rigides, aux baguettes figées mais qui impriment une cadence parfaite, il vit les morceaux dans leur battement, Carl, beau comme un dieu barbu, c’est son heure, Al Jardine discret de profession et Mike Love, casquette Hawaii (il prépare déjà la retraite), chemise ton sur ton déambule avec son tambourin comme un pré-Bez qui saurait (quand) chanter au bon moment. Sur le bord de scène, apparaît parfois Brian, un peu enveloppé et aux mouvements trop découpés pour être honnêtes. Défoncé aux médocs, malade, quand il chante I Want To Go Home sur Sloop John B, on le croit sur parole. Les passages débridés annoncent les Mary Chain (le son de la captation a tendance à saturer et c’est bien) et le côté étonnamment relâché (on joue en short de tennis) préfigure la coolitude post-grunge de Pavement. La musique américaine et anglo-saxonne comme un continuum indestructible, une beauté qui mêle l’amour d’un métier bien fait, le rassemblement des plus doués, l’excentricité en liberté, mais la liberté quand on le décide, au service de la musique, ça peut être chelou, plombant, ou touché par la grâce comme en cette après midi, où Washington était pour une heure la capitale de la Californie.
Interlude 6 Love & Mercy, un film de Bill Pohlad (2014)
Bonne nuit Brian, par Duglas T Stewart (BMX Bandits)
Facebook, 11 juin

Aucun autre auteur-compositeur/musicien n’a eu autant d’impact sur ma vie que Brian Wilson. J’ai eu la chance de le rencontrer et de l’interviewer à plusieurs reprises. Que de précieux souvenirs ! La musique, bien sûr, compte énormément pour moi : The Beach Boys Love You, Pet Sounds, American Spring, Adult Child, Breakaway… Cette musique m’a tant apporté. Je suis vraiment reconnaissant d’avoir vécu à une époque où les géants étaient des rois. Bonne nuit Brian, on t’aimera toujours.
Interlude 7 Shonen Knife, Don't Hurt My Little Sister
Amour éternel, par Joseph Ghosn

Instagram, 12 juin
Impossible de dire la tristesse devant la disparition de Brian Wilson, et la peine si grande de savoir que cet esprit, au-delà des esprits, n’est désormais plus sur cette planète. La musique que nous écoutons ne serait pas la même sans lui et les heures passées à disséquer Pet Sounds et à chercher sa suite, partout, dans tous les disques suivants et précédents aussi du groupe. Pet Sounds est le disque parfait, l’album par lequel écouter tous les autres. Mais il n’est pas le seul : Surf’s Up, Smiley Smile… et puis, ce numéro légendaire des Inrocks, 24 pages sur Brian Wilson par Michka Assayas, qui ont changé le rapport à la pop de toute une génération, la mienne, apprenant à la fois par là et par Brian, le sens du génie et la profondeur de la folie, de l’obsession, de la dérive à l’intérieur de soi. Ce numéro, par contraste, a sauvé plus d’une vie, ouvert plus d’une tranchée dans les tamis de nos existences – et la musique de Brian Wilson s’y est engouffrée, devenant la plus essentielle, au même sens que celle du Velvet : les Inrocks nous ont appris que la musique c’est le Velvet et les Beach Boys, jamais l’un contre l’autre. Stereolab, Broadcast sont les enfants de cela. Ce soir, je suis profondément triste, parce que je sais que ces chansons qui résonnent chaque jour dans ma tête sont aussi celles d’un monde désormais englouti. Notre Atlantide. Pour en savoir plus sur tout ça, lisez (dans Libé) et regardez (sur Arte) tout ce que mon camarade Christophe Conte a écrit et réalisé à propos de Brian Wilson : depuis les pages de Michka Assayas, personne n’a aussi bien saisi ce génie et ses résonances. « God only knows what I’d be without you », à l’infini, amour éternel.
Les notes qu’il entendait dans sa tête, par Paul McCartney
Instagram, 13 juin
Brian avait un sens mystérieux qui faisait de lui un génie de la musique, un sens qui rendait ses chansons si douloureusement spéciales. Les notes qu’il entendait dans sa tête et qu’il nous transmettait étaient à la fois simples et brillantes. Je l’aimais et j’ai eu le privilège de vivre dans la clarté de sa lumière pendant un petit moment. Comment allons-nous continuer sans Brian Wilson, « God Only Knows ». Merci, Brian. – Paul
