« Est-ce que tu veux bien enlever l’amertume ? »
Voilà ce que c’est, une trop grande proximité avec un label et son gérant, un disque qu’on a écouté à l’avance et qui nous a comblé, les formules qui jaillissent (« Michel Legrand, mono d’une colonie de vacances à Paisley Park », assez imprécise mais spontanée) et qui ne disent pas grand-chose finalement, les kits de presse que personne ne lit (l’histoire d’un garçon et d’une fille qui filent sur une départementale sur une mobylette kitée, les cheveux dans le vent, ce genre, oui c’était un peu de moi, pas de secret entre nous), et on se retrouve fort dépourvus au moment d’écrire LA chronique qu’on aimerait à la hauteur de ce qu’on entend. Peine perdue, pas grave. Les gens bienveillants de Section26 savent que notre écriture est ancrée dans le fanzinat, pas dans la presse quotidienne nationale, ni la revue universitaire. L’excuse parfaite.
Vous le savez, si vous avez lu les magazines ou écouté la radio, Boost 3000 vient de Toulouse, qu’il faut désormais considérer comme une place incontournable de cette nouvelle variété vivifiante tant ce coin du Sud-Ouest délivre régulièrement des jeunes gens à la liberté la plus folle et la plus intense du pays (Aquaserge, Thomas Pradier, Laure Briard…). Est-ce la météo, la proximité de la mer, de l’océan, des montagnes, les fermes qu’on partage à plusieurs, les communautés de pensée, de vie, l’éloignement de Paris ? On ne saura jamais. Est-ce l’apanage d’une génération pour laquelle les idées n’empêchent pas le soin apporté à la musique, où la virtuosité n’empêche ni fragilité, ni immédiateté, où la science se met à l’aise à la colle avec la littérature et une certaine idée de la politique ? Peut-être, si on élargit le spectre géographique et qu’on cite Hémisphère Sud, Odessey & Oracle et bien d’autres. Il y aurait une famille à recomposer, avec sa généalogie, ses grandes tendances esthétiques et si on avait la morgue de l’ancienne presse anglaise, il ne faudrait pas trop nous pousser pour faite naître, devant nos yeux de gogos ébahis, une belle scène, dont on aurait saisi avant (presque) tout le monde, les codes… Appelons-la : Renaissance Variété ©, tiens, pour se marrer.
Dans cette agitation qui traverse certains groupes d’ici, Boost 3000 déboule en douceur et réussit là où beaucoup peine : pas de besoin de costumes pastel, pas de livres mode-d’emploi, pas de chorégraphie, la vie n’étant ni un plateau de télévision ni un cours d’aérobic, putain. Avec une pochette qui ne déparerait pas sur un disque punk lorrain (au hasard), Boost nous met à l’aise, c’est un pique-nique et on a envie de deviser sur l’état du monde avec eux, un petit verre de vin à la main. Mieux, il s’en dégage une façon d’être dans notre époque qui nous change du constat habituel, comme un espoir que tout n’est pas fini. Même les disques qui nous ont plu ces derniers temps dégagent un trop plein de morosité, de violence retournée, ou de constats froids sur ce qu’on vit. Peut-être que Boost 3000, sans jouer les imbéciles heureux, arrivent à nous sortir de l’ombre et à nous faire entrevoir dans leurs chansons-soleil quelque chose d’heureux, de fin, de léger. Il n’y a pas de posture de clowns pour autant. Ou alors mieux : ils ont saisi la science de dire des choses, de raconter à hauteur d’homme et de femme (le duo ici au service d’autre chose que de la romance en cours ou finie) des histoires complexes en nous laissant le choix de la siffler (ce matin, sur mon vélo, je sifflotais en boucle l’intro de Bonjour Madame d’ailleurs) sous la douche. La facilité avec laquelle Boost 3000 résout son équation à plusieurs inconnues est tout à fait déconcertante : assis sur une rythmique sans faille, le groupe déploie savants détails et mélodies mille-feuille, tout en restant limpide et populaire. Et l’envie de chanter à tue-tête leur comédie musicale intime, concise et colorée devient alors irrésistible. On en redemande, tout simplement.
Alors, on est juste inquiets : quel avenir pour ce disque ? Culte (déjà), succès critique (au moins, du Monde à France Inter, de Muzzart à nombre de webzines), tubes populaires (à voir). Quelle place ? Quel avenir pour ce groupe, aussi : s’agit-il d’un essai unique, avant que chacun ne reparte vers ses petites marmites personnelles (pour une extension de l’univers Boost, on pourra bientôt jeter une oreille du côté du projet annexe de Marion, Jokari). Plein de questions, sans réponse, et c’est pas mal aussi. Au final, c’est encore de langage dont il s’agit : entouré de groupes aux ficelles un peu trop apparentes, Boost 3000, nature et découvert, parle à tout le monde, n’étale pas forcément sa qualité de lettré (peut-être qu’ils n’écoutent rien d’ailleurs, qui sait ?), tout en étalant leur talent sur une poignée de chansons parfaites. Aux innocents les mains pleines. Grand disque.